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ne tardèrent pas à dédommager ceux qui en avaient été victimes par un retour spontané de l’opinion publique. En effet, malgré les vices de leur organisation, les soldats américains étaient animés de cette passion ardente et sincère qui pousse au but les grands hommes et les grands peuples, et c’est grâce à elle qu’ils forcèrent la victoire à se ranger enfin de leur côté.

Plus l’effort national avait été considérable, plus la réaction qui le suivit fut irrésistible. Après tant de sacrifices faits au bien commun, l’esprit d’indépendance locale devait reprendre son empire. Le souvenir des réguliers anglais, le besoin d’économie et la lassitude générale firent réclamer de toutes parts la suppression de l’armée nationale. Délivrées du danger qui les avait unies, les anciennes colonies s’empressaient de s’affranchir de toutes les charges les plus nécessaires à leur existence nouvelle : elles se consumaient en querelles qui faillirent leur faire perdre l’estime de leurs plus zélés partisans en Europe, et, plus jalouses encore du pouvoir central, elles ne lui laissèrent aucune autorité, aucun moyen d’action. C’était l’âge d’or des states rights ou « droits d’états, » dont la défense servit plus tard de prétexte à l’insurrection de 1861. Sous cette funeste influence, l’armée des États-Unis disparut graduellement : toute la garde de la longue frontière du Canada et des tribus indiennes fut confiée à la milice de chaque état, et en 1784 l’armée nationale se trouvait réduite au chiffre absurde de 80 soldats et officiers.

Lorsque de vrais patriotes tirèrent l’Amérique de la voie fatale où elle était engagée, et que sa nationalité fut définitivement constituée par cette œuvre admirable qu’on appelle le pacte fédéral, on sentit la nécessité de rendre quelque autorité au pouvoir central reconstitué. Cependant entre ce moment, que l’on peut appeler sa première résurrection, et celui où elle fut définitivement organisée, l’armée régulière éprouva encore bien des vicissitudes. En effet, lorsqu’on 1789 Washington se trouva investi, avec le titre nouveau de président, du commandement des forces militaires de la république, celles-ci ne s’élevaient qu’à 600 hommes. Son autorité sur les milices était limitée à un petit nombre de cas spéciaux, et leur formation dépendait exclusivement de chaque état. Connaissant par expérience les inconvéniens d’une armée improvisée de toutes pièces, il songea à doter son pays d’institutions militaires et à préparer des cadres qui lui auraient permis de transformer assez rapidement en combattans effectifs les citoyens appelés sous les drapeaux par un danger inattendu; mais il ne put vaincre les préventions d’un peuple nouvellement affranchi contre toute armée permanente, préventions dont Jefferson était l’organe dans son propre cabinet.