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Aussi, depuis 1789 jusqu’en 1815, l’armée régulière, celle qui était levée et organisée directement par le pouvoir fédéral, sans l’intervention des états, demeura-t-elle à l’état provisoire. Une guerre était-elle imminente, on l’enflait subitement en y ajoutant, faute de cadres anciens, des régimens entièrement neufs où tous les grades étaient donnés d’emblée, et, lorsque les dispositions pacifiques reprenaient le dessus, on se hâtait de licencier également officiers et soldats.

En 1790, cette armée ne comprenait qu’un régiment d’infanterie et un bataillon d’artillerie, en tout 1,216 hommes. Un second régiment, formé l’année suivante, porta son effectif à 2,128 hommes. En 1792, on l’éleva subitement à 6,000 hommes, pour la réduire, dès 1796, à 2,800 hommes. Chaque fois un acte du congrès autorisait la levée des hommes, la formation des corps, limitait parfois la durée de leur existence, et créait pour l’occasion les grades nécessaires ; mais il arrivait souvent que de la sorte on se procurait plus vite des officiers que des soldats. Ainsi en 1798, craignant une guerre avec la France, le congrès ordonna la levée de 13,000 réguliers; mais deux ans après, tandis que le corps d’officiers était au complet, on n’avait pu encore enrôler que 3,400 hommes, et en 1802 on ramena cette armée éphémère au chiffre de 3,000 soldats.

On voit qu’elle ne méritait guère son nom d’armée régulière. Aussi, plus l’Amérique comptait pour sa défense sur les levées de volontaires, plus elle avait besoin d’une école permanente pour constituer un corps d’officiers instruits, possédant les traditions et l’esprit militaire, capables de suppléer aux défauts d’une armée improvisée et inexpérimentée. Washington l’avait bien senti, et il avait voulu fonder une école fédérale sur des bases assez larges pour qu’elle pût rendre à la nation cet important service; mais son projet, destiné à être adopté plus tard, fut rejeté deux fois, en 1793 et en 1796. On se contenta d’établir à West-Point une espèce d’école déguisée et tout à fait insuffisante, formée d’un dépôt d’artillerie et du génie avec deux professeurs et une quarantaine de cadets. Ce n’est qu’en 1812 qu’on reprit le projet de Washington et que l’académie de West-Point, dont il fut ainsi le fondateur posthume, devint réellement la pépinière de l’armée régulière. À cette époque, l’Amérique apprit enfin à ses dépens combien de telles indécisions et alternatives étaient contraires au développement de bonnes institutions militaires.

Nous avons voulu montrer par ces détails que les levées d’armées improvisées, dont l’année 1861 a donné un si gigantesque exemple, furent de tout temps dans les habitudes de ce pays et que les procédés adoptés alors sur une grande échelle furent employés