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spécial en ait secoué la poussière; mais le 10 août 1789 le pont-levis s’abaissa devant la révolution. Le peuple en armes envahit la vieille forteresse. Poussé par cet instinct sauvage de destruction qui a toujours déshonoré chez nous les guerres civiles et les victoires populaires, il se mit à tout briser et rendit les archives à la liberté en les jetant par monceaux dans les cours; elles y restèrent entassées pêle-mêle, soulevées par le vent, trempées par la pluie, tachées de vin par les volontaires, mises au pillage par les collectionneurs, jusqu’au moment où le comité de l’Hôtel de Ville donna l’ordre de les transporter à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. On décida qu’elles seraient livrées à l’impression; un vaste travail de classement fut commencé et interrompu presque aussitôt par suite des événemens. Quelques années plus tard, les archives furent déposées à l’Arsenal, et elles y restèrent enfouies sans ordre, dans un entresol obscur, qu’elles remplissaient entièrement, sans qu’il fût possible d’y pénétrer en raison de leur masse, et sans que personne en ait même soupçonné l’existence. C’est là que M. François Ravaisson les a découvertes en 1840, au moment même où il venait d’être attaché au service de la bibliothèque.

Depuis cette époque, M. Ravaisson a consacré sa science et son temps à mettre en ordre et à déchiffrer ces feuilles éparses, qui devaient jeter de si vives clartés sur la période qui s’étend de 1659 à 1789. En même temps il a retrouvé les papiers de la police de Paris depuis Colbert jusqu’en 1774 ; ce sont ces précieux documens, complétés par un grand nombre d’extraits des grands dépôts de l’Angleterre et de l’Italie, qui forment les six premiers volumes de sa publication, de 1659 à 1681, et nous devons lui rendre cette justice, que, parmi les livres de notre temps, il en est bien peu qui aient été publiés avec plus de savoir et plus de soin. Chaque volume s’ouvre par une introduction où l’auteur résume avec une grande sûreté de coup d’œil les textes les plus importans. Il éclaire les incidens particuliers par un tableau général des mœurs et des institutions, et, comme il n’avance rien qui ne soit justifié par des documens authentiques et contemporains, chacune de ses introductions est une page d’histoire vraie. C’est là le plus bel éloge que nous en puissions faire, car, parmi les historiens contemporains, sans en excepter les plus autorisés, il en est plus d’un qui ne fait souvent que substituer ses impressions personnelles aux réalités du passé.


I.

La première pierre de la Bastille fut posée en 1369 par Hugues Aubriot, intendant des finances et prévôt de Paris. La construction