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REVUE. — CHRONIQUE.

l’absolutisme, tout cela s’est reproduit depuis six ans, et l’Espagne en est revenue à ce point où, fatiguée, délivrée des fureurs démagogiques, mais ayant encore à vaincre l’insurrection carliste, elle cherche un gouvernement. Ce gouvernement existe-t-il à Madrid ? Il est certain que depuis quelque temps on fait ce qu’on peut pour revenir à des conditions régulières, et naturellement ce qu’on a trouvé de mieux, c’est de restaurer des traditions, des institutions qui avaient disparu dans la tempête. Le conseil d’état a été rétabli, le conseil supérieur de l’instruction publique vient d’être reconstitué, et il aura certes du travail, s’il veut réparer tout le mal qui a été fait aux écoles, à l’enseignement, qui a été bouleversé. Le ministre des finances, le plus embarrassé de tous les ministres, M. Gamacho, cherche à se procurer des ressources et à faire un budget. Bien entendu, on a eu à peine besoin de rétablir les décorations, les titres de noblesse : ce sont des choses qui ne meurent pas au-delà des Pyrénées. Le gouvernement est en même temps occupé à se donner une représentation diplomatique, et la France, pour sa part, a eu le plaisir de voir arriver ces jours derniers, comme ambassadeur à Paris, M. le marquis de la Vega de Armijo. Quel sera le dernier mot de cette réorganisation ? La lutte est visiblement engagée aujourd’hui à Madrid autour du général Serrano. Elle n’éclate pas précisément au grand jour, en conflits publics, en polémiques ardentes. La presse est tenue à une discrétion modeste dont elle ne peut s’écarter sans s’exposer à être frappée assez rudement. Au fond, la lutte n’existe pas moins entre le ministère conservateur qui s’est formé le mois dernier avec le général Zabala, M. Sagasta, M. Ulloa, et ceux qui s’efforcent de persuader au chef du gouvernement, au général Serrano, de former ce qu’ils appellent un ministère de conciliation, c’est-à-dire un ministère composé de républicains, de radicaux, de constitutionnels. Jusqu’ici, c’est le ministère conservateur qui reste maître du terrain. Il a l’avantage de l’homogénéité. Son programme, celui du général Serrano lui-même, c’est de ne rien faire de définitif avant le rétablissement complet de la paix. Or la paix est pour le moment ou plutôt elle était hier entre les mains du général Concha.

Hier encore en effet cet intrépide soldat se disposait à engager des opérations décisives contre les carlistes. Il voulait saisir l’insurrection corps à corps, lui enlever les positions d’Estella, où elle est retranchée avec le gros de ses forces militaires. Au jour fixé par lui, il s’est mis en marche avec toutes les apparences d’un succès prochain ; il avait déjà obtenu d’assez sérieux avantages, lorsqu’à l’attaque des retranchemens de Pena de Muro, à peu de distance d’Estella, il est tombé frappé à mort à la tête de ses troupes, qu’il conduisait lui-même intrépidement à l’assaut pour la troisième fois. La mort de cet héroïque soldat a jeté un certain désarroi dans cette armée, qui s’est repliée sans se laisser entamer pourtant. Il est bien certain que la mort de Concha a été un mal-