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madonna Laura ! » À l’heure où nous écrivons, tout Paris est encore sous l’impression de la messe de Verdi, et l’Italie ne restera certes pas indifférente à cette explosion de sympathie qui vient de saluer parmi nous le chef-d’œuvre de son grand musicien. Croyons hien que les manifestations de ce genre servent, et beaucoup, au rapprochement de deux nations ! C’est ainsi du moins que le gouvernement du roi Victor-Emmanuel l’a compris lorsqu’il a décidé que son ministre en France irait assister aux fêtes d’Avignon. J’ignore si le duc Decazes a pris les mêmes mesures à l’égard de notre représentant à Rome, toujours est-il qu’en pareil cas le hasard aurait merveilleusement arrangé les choses en envoyant le marquis de Noailles à Padoue et le commandeur Nigra à Avignon, — deux diplomates que leur érudition, leur talent d’écrivain et leur sens exquis des beaux-arts avaient créés d’avance ambassadeurs près de ces deux royautés, Laure et Pétrarque. Combien nous voilà loin de ce monde qui s’amusait à démontrer que Laure ne fut jamais qu’une idée, une abstraction, — comme si jamais au bout de cinq cents ans une abstraction avait ainsi passionné les foules et remué des deux côtés des Alpes un sentiment de nationalité ! Nous avons sur ce sujet d’autres points de vue qui nous viennent non pas de ces livres que les commentateurs se passent de main en main, comme les traducteurs se passent leurs contre-sens, mais d’une certaine étude particulière du poète et de l’homme en des in-folio latins qu’on s’est toujours trop bien gardé de lire. Osons donc, puisque les circonstances nous y invitent, aborder à nouveau ce roman, et suivons en curieux le courant des fêtes qui nous pousse vers Avignon.

I.

Vous souvient-il de cette vieille Bible in-folio que, tout enfant, vous aimiez tant à feuilleter ? Parmi ces fameuses images qui faisaient alors la joie de vos récréations s’en trouvait une représentant la ville de Jéricho avec sa ceinture de remparts destinés à s’écrouler un jour sous les efforts de la trompette d’Israël. Si par hasard cette impression s’était effacée de votre esprit, le panorama d’Avignon la réveillerait aussitôt. « Avignon est une ville du moyen âge. Vue du Rhône au soleil couchant, l’antique cité des papes avec son pont de pierres en ruines depuis deux cents ans, ses murailles à créneaux, ses tours, ses innombrables clochers et clochetons, ses maisons serrées les unes contre les autres, et son gigantesque palais s’appuyant sur le rocher des Doms, Avignon produit sur vous un effet si étrange qu’on se sent tout à coup transporté dans un autre