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le péché d’infidélité ne saurait exister envers lui. Les moralistes déclament et fulirinent, — rien de moins sensé ; cette poésie-là n’est point née du relâchement des mœurs, elle vient simplement de l’idée qu’on se faisait de l’amour à cette époque, — idée abstraite et sophistiquée, donnant tout à l’illusion, au mensonge, substituant à la vérité de la passion les froides subtilités de l’entendement. Aimer, rimer, gaie-science qui contient le grand secret de cette vie ! Plus tard, l’âge et les jours d’épreuve arriveront, il sera temps alors d’aller au cloître ; en attendant, touchons à toutes les choses de ce monde, aux plus douces comme aux plus tristes, goûtons à ses délices, à ses peines en curieux, en délicats, et ne conservons de ses larmes qu’un certain miroitement dont s’irisera la précieuse opale de nos écrins. Qui porte en soi le don de poésie règne ici-bas de droit naturel et divin ; chevalier, clerc ou varlet, il verra s’ouvrir à sa voix les plus fiers manoirs, chaussera les éperons d’or, montera les coursiers rapides, et les nobles dames lui souriront au pays où trônent les cours d’amour. La naissance perd ses privilèges, et pas plus que pour le prêtre, il n’est de basse extraction pour le poète. Ce Bernard, dont la mère était femme de peine au château, ira s’asseoir à la table de la reine d’Angleterre ; l’humble page et le haut baron, chacun de son côté, s’escriment au jeu de la rime, et, dans ce cercle à part, il n’est d’autre supériorité que celle que donne un plus grand savoir, un plus grand renom.

En ce bienheureux midi de la France, de l’Océan jusqu’aux Alpes, la civilisation n’avait pour ainsi dire subi aucune interruption depuis les Romains. Voluptueusement imprégnée du souffle des colonies grecques, voisine de Marseille, de Toulouse, de Narbonne, où l’antiquité, partout ailleurs disparue, se survivait dans ses monumens, ses traditions, dans les populations même, gouvernée par des princes indigènes, la Provence avait pour elle à cette époque un fonds de société qui manquait au pays situé de ce côté-ci de la Loire. Là, point de Normands envahisseurs, point de messe des lances. Un chevalier, pour tout emploi, n’y était pas réduit à batailler. La guerre, ne l’avait pas qui vouiait sous la main ; il fallait traverser les Pyrénées, aller se joindre aux rois de Castille et d’Aragon, et faire avec eux campagne contre les Maures de Cordoue ; gens fort courtois du reste et fort lettrés, ces Maures ne ressemblaient pas à nos Bédouins fanatiques d’aujourd’hui. Ces enfans du désert avaient tous les raffinemens de la plus exquise urbanité, cavaliers brillans, indomptables, grands seigneurs sans reproche sur le point d’honneur, et toujours en train de courir la bague ou de pourfendre un chrétien pour les beaux yeux de leurs maîtresses.

Souvent aux jours calmes et pendant une trêve, les chevaliers