setés du temporel. Il avait le cœur trop léger, les sens trop inflammables et le cerveau trop éventé. Heureusement que les mœurs du règne étaient accommodantes, et qu’à défaut de vocation on pouvait prendre la carrière par le côté mondain. Les plus hauts exemples l’y autorisaient ; il les imita. Un extérieur agréable, une rare élégance dans les manières et dans les vêtemens, l’art ou plutôt l’éloquence de la flatterie, l’eurent bientôt mis en faveur chez les grands ; les femmes ne tardèrent pas à s’occuper de lui. L’évêque de Lombez, Jacopo Colonna, le rechercha comme ami. Ce prélat, du même âge que lui et fort avant dans les bonnes grâces de Jean XXII, n’avait qu’un désir, aider à la fortune de Pétrarque et le pousser vers les hautes fonctions. Pétrarque alors tranquillement se laissa faire, à la condition toutefois de ne pas trop se presser. Sûr désormais d’arriver, il remettait au futur contingent les dignités et les devoirs qu’elles entraînent, les emplois illustres, toujours plus ou moins assombris de responsabilités, et goûtait en plein abandon les délices de l’heure présente. Sa vanité allait triomphante ; les femmes se le montraient du doigt dans la rue, non plus, comme jadis à Florence, les commères de la place aux Herbes se montraient l’Alighieri en murmurant : « Voilà l’homme qui revient de l’enfer, » mais le sourire aux lèvres, et les yeux tout papillotans de cet éclair qui signifie : « voilà celui qui vient à la jeunesse, au plaisir, à l’amour. » Pétrarque furtivement recueillait ces aubaines ; ces doux appels, ces regards embrasaient son sang et communiquaient à tout son être une ivresse dont à quarante ans de distance l’épicurien, devenu ermite, regrette et déplore le souvenir avec componction : Quorum hodie pudet ac pœnitet !
Tel était Pétrarque à l’état physique et moral, telles étaient les circonstances au moment où Laure apparut. Fille de messire Audibert de Noves et de dame Ermessende, mariée depuis le 13 janvier 1325 au seigneur de Sade, elle avait alors dix-huit ans ; c’est dire que sa beauté brillait dans toute sa fleur. Quelle était cette beauté ? Comment découvrir la femme dans cette madone constellée de joyaux comme un ostensoir, et qui marche sur des nuages de sonnets comme la Vierge de Raphaël dans son azur ? « Les murs étaient d’albâtre et d’or le toit, les portes d’ivoire, et de saphir les fenêtres ! » Comme vers, mélodie italienne, c’est exquis, mais comme signalement d’une personne qu’on aimerait à se représenter un peu au naturel, cela laisse bien à désirer. Laure nous est peinte cette fois sous les traits d’une maison mystique :
Mura eran d’alabastro e d’oro tetto…
Allégorie et symbole partout ! Elle a pour cheveux des rayons de