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tellement simple et vague, qu’elle ne repousse pas comme une ennemie celle que nous lui apportons, et la propriété de l’un comme de l’autre ne se composant que de tentes, d’armes et de chevaux dans le nouveau monde, de troupeaux dans l’ancien, est essentiellement individuelle. La tribu n’est donc pour eux qu’un faible lien politique, une simple extension de la famille. Les Américains, dans leurs rapports avec cette société primitive, se sont toujours opposés à ce que ses progrès eussent pour résultat de consolider l’organisation de la tribu, et se sont plutôt efforcés d’en fondre les élémens dans la grande société moderne qui s’étend rapidement sur tout le continent. Aussi, sous l’influence des exemples de la vie civilisée, un grand nombre d’Indiens ont-ils quitté la vie nomade, et, rompant avec les traditions du passé, ont-ils cessé d’être hostiles aux blancs le jour où ils sont devenus cultivateurs. La politique américaine a imaginé bien des moyens de se les attacher, tant par l’intérêt que par la crainte. Après leur avoir d’abord imposé un tribut, le gouvernement fédéral a changé de méthode, et leur a acheté leurs terres, leur donnant en échange des rentes sur l’état. Il se faisait ainsi des pensionnaires soumis et restreignait en même temps l’étendue des domaines de chasse qui étaient fermés à la colonisation. Et afin que ces domaines ne devinssent pas entre les mains de la tribu une véritable propriété collective, il lui imposait, aussitôt que la civilisation commençait à en approcher, l’alternative, soit d’émigrer en masse, soit de partager entre elle ses terres, en assurant un lot à tout Indien qui voudrait se faire cultivateur. En détruisant ainsi l’organisation sociale de la tribu, il respectait ce- pendant encore son système politique, afin de lui imposer la responsabilité collective de tous les crimes commis par ses membres, seule garantie efficace de la police du désert. Ce procédé de justice primitive disparaissait à son tour aussitôt que la division et la culture individuelle du territoire avaient consacré le changement des mœurs, et l’institution politique de la tribu faisait place graduellement à une municipalité ordinaire, tandis que ses membres devenaient citoyens des États-Unis.

Aucun préjugé de couleur ne fait obstacle à ce travail d’absorption, qui se poursuit encore aujourd’hui, et l’état de New-York lui-même possède de nombreux villages d’Indiens civilisés, qui en gardant le type et les traditions de leur race sont en tout les égaux des anciens colons qui les entourent. On a vu, il y a trente ans, un régiment de cavalerie fédérale levé entièrement parmi les Creeks, et des Indiens pur sang sont sortis avec le rang d’officiers réguliers de l’école de West-Point. Bien plus, dans le sud, où ils sont traités comme les égaux des blancs, où le congrès confédéré admettait leurs