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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/271

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rétabli dans Rome que Pétrarque à l’instant s’improvise l’organe de cette idée, devient l’homme de l’Italie, et devant les yeux du pape Benoît XII évoque, à grand renfort de dithyrambes, le spectre de l’antique Rome s’avançant en habits de deuil, les bras étendus vers son nouvel époux, son nouveau maître dont elle implore à genoux le prompt retour.

Nous étions à Vaucluse, bien nous en a pris d’y rester à l’attendre. Rome n’a pu longtemps le retenir : la campagne est à feu et à sang, les Orsini contre les Colonna ; des bandes mercenaires pillent tout : mauvais moment pour ébaucher la mise en scène d’un triomphe au Capitole. Parti de Marseille, il débarque à Civita-Vecchia, prend l’air du pays, le trouve fort malsain, et s’en retourne à Vaucluse, « source et origine de tous ses ouvrages, » à Vaucluse, où lui était venue la première idée du poème épique qui devait servir de prétexte à ses rêves de couronnement, « En 1339, un jour de vendredi saint, comme j’errais en méditant par ces solitudes, l’idée soudainement me prit d’écrire une épopée sur Scipion l’Africain, dont le nom m’avait dès ma jeunesse frappé de respect et d’admiration. » Ce sublime poème, rédigé en vers latins et tout à la gloire de l’ancienne Rome, devait en même temps servir à la réalisation de certains plans de vanité conçus et caressés de longue date. Disons aussi que tous les beaux esprits du siècle partageaient là-dessus son illusion. Les premiers livres terminés, Pétrarque les fit copier activement et répandre partout. Ce début sembla mirifique, et le poète fut divinisé, c’était justement où Pétrarque en voulait venir : triompher au Capitole et ceindre le laurier. Entre tous les princes de l’Europe, le roi Robert de Naples passait à cette époque pour le plus enclin au culte de la science et des arts. Il s’agissait donc de se concilier son haut patronage ; Pétrarque s’y employa en prose et en vers ; il mit au jeu toutes les élégances, toutes les flatteries, tous les sophismes de son Parnasse italien, latin et provençal. En outre, le père Dionigi, ce moine si dévoué, fut chargé de se rendre à Naples avec la mission d’inculquer au vieux roi l’admiration due au poète ; ce dont il s’acquitta d’un tel entrain que Robert consulta à son tour Pétrarque sur une épitaphe composée pour le monument de sa nièce Clémence, morte veuve de Louis le Hutin. Ce que le solitaire de Vaucluse prodigua d’érudition et de philosophie dans sa réponse, nous n’essaierons pas de le décrire, constatons simplement que l’enthousiasme du roi s’accrut encore. Pétrarque alors, jugeant la chose à point, envoie au bon moine une dépêche où, déclarant ouvertement sa prétention au laurier, il ajoute ne le vouloir tenir que de la main du roi Robert[1]. Enchanté d’avoir la préfé-

  1. Famil., lib. IV, ép. 1.