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rence, le bon monarque intervint de son mieux près du sénat de Rome, et son influence appuya celle des Colonna, dès longtemps sympathiques à l’idée de ce couronnement.

À force de persévérance et de diplomatie, les derniers obstacles furent levés, et le 23 août 1340 Pétrarque reçut une lettre du sénat qui, dans les termes les plus flatteurs, l’invitait à venir à Rome pour y recevoir solennellement la couronne de laurier. Il quitte Vaucluse, arrive à Naples, où le roi Robert s’empare de lui et ne le lâche plus. Quelles promenades et quels entretiens sur l’histoire, la poésie et la philosophie ! Ils visitent ensemble le Pausilippe et sa grotte, font leurs dévotions au tombeau de Virgile ; puis ce sont des lectures interminables, on échange des confidences, Pétrarque applaudit les vers du roi, lequel à son tour demande à connaître tout ce qui est écrit du poème prêt à servir de motif au prochain triomphe. À l’audition de ces fragmens, le vieux monarque se sent béat ; il veut qu’un tel chef-d’œuvre lui soit dédié, et Pétrarque est un trop bon prince pour refuser cet hommage à Robert de Naples, son confrère en Apollon. Patience ! nous ne sommes pas au bout des cérémonies préparatoires, bientôt s’ouvrent les examens ; ne dirait-on pas la veillée des armes ! Pendant trois journées entières, devant toute la cour et toute une assemblée de sa vantasses fourrés de dialectique et cousus de subtilités scolastiques, notre candidat au laurier s’escrimera, paradera, et, sorti vainqueur du tournoi, s’entendra proclamer digne de recevoir les honneurs du triomphe.

Le 8 avril 1341, un jour de Pâques, eut lieu cette cérémonie : douze adolescens de familles nobles et vêtus de pourpre ouvraient le cortège en chantant des hymnes à la louange du triomphateur ; derrière eux s’avançaient six patriciens en robes vertes et couronnés de fleurs ; venait alors le sénateur Orso d’Aguillara, la tête ceinte du laurier consécrateur, puis le divin Pétrarque, affublé d’un manteau royal[1], puis la foule. Ainsi furent gravis les degrés du Capitole aux cris de vive le peuple romain, vive Pétrarque, vive le sénateur, vive la liberté ! Alors le poète s’agenouilla, et le sénateur, au milieu des fanfares et des acclamations, lui posa sur le front la couronne en disant : « Que ce laurier soit la récompense du talent ! » Pétrarque profita d’un moment de silence pour débiter un sonnet à la gloire des ancieus Romains, le peuple, une fois encore, cria : « Vive le poète, vive le capitole ! » et tout fut dit. — Des années s’écoulèrent qui sans doute portèrent conseil, et longtemps plus tard, aux heures tristes de la vieillesse et des résipiscences, Pétrarque déplorant les erreurs du passé : « Ah ! cette couronne,

  1. Le propre manteau de cet excellent roi Robert, qui, au moment où Pétrarque allait quitter Naples, se l’était détaché des épaules, en recommandant bien à son poète de s’en couvrir pour la cérémonie du triomphe.