Ici se place une églogue que je trouve dans les lettres latines de cette date et qui vaut la peine d’être racontée, d’abord parce que Pétrarque y prit une part honorable, ensuite parce qu’elle nous peint agréablement les mœurs du bon vieux temps. À deux lieues de Vaucluse est un très charmant village nommé le Thor, relevant d’une seigneurie de la maison de Sabran, qui remonte à Laure par les femmes. Géraud de Sabran, fils de Rostain et de Raibaude de Simiane, homme fort dissolu, régnait sur ce petit pays non pas simplement en despote, mais en sultan, habitué à regarder comme un butin légitime toute fillette née sur ses terres. Or il arriva qu’un jeune vilain s’éprit d’une jolie vilaine et qu’après avoir obtenu d’elle tout ce qu’une jolie vilaine peut donner se présenta par devant son seigneur en offrant réparation et mariage. Idque nescio an et in Thoro, certe apud Thorum acidité, écrit spirituellement Pétrarque avec son goût des concetti et jouant sur le double sens du mot Thorus, qui veut dire lit en même temps qu’il sert à désigner le village. La fille étant fort belle, le noble sire tout aussitôt la convoita ; peine perdue ! Géraud de Sabran jura de se venger, c’était justice. Un manant être ainsi venu cueillir la fleur éclose au jardin du maître,
Rien que la mort n’était capable
D’expier ce forfait !…
Ce pauvre diable, déclaré coupable de viol, fut à l’instant jeté dans
un cachot. Vainement la jeune fille intervint au procès, confessa
tout, vainement le jeune homme renouvela ses offres de mariage.
Tous les deux étaient libres, du même âge et pourvus de bien,
l’affaire semblait des plus simples, mais le podestat luxurieux fit
sourde oreille aux meilleurs arguments ; bref, le jeune homme allait
être pendu lorsque, indignés d’un tel scandale, les braves gens du
voisinage recoururent à Pétrarque, le suppliant d’user de son crédit
près du saint-père pour sauver de la corde cet infortuné. La cause
des amans malheureux était celle du poète, il se mit à l’œuvre de
grand cœur et lança de Vaucluse un message sur Avignon. « Aujourd’hui, écrit-il à Lélius, j’ai à te proposer une bonne action, et
tu vas me venir en aide. » Puis, après l’avoir mis au courant, « nous
aussi, lui dit-il, nous avons ressenti les souffrances d’amour ; n’est-il
pas juste que nous compatissions aux peines de ceux que ce mal
tourmente ? Exempt de ces faiblesses propres au commun des mortels, notre magnanime souverain n’en est pas moins sensible aux
misères de l’humanité ; parle, prie, implore ; obtiens que le maître
se prononce en faveur de la victime et qu’il soit enjoint à ce jaloux
tyran de la rendre à la vie et à la liberté. Le messager que je charge
de cette épître est un ami du prisonnier, il te racontera les choses