et ce regard lui dit quelque chose « de mystérieux, d’inconnu. » Pétrarque eût volontiers pleuré ; mais quoi, là, devant tout ce monde ? Il savait vivre et contint son émotion. Peut-être, à cette heure mélancolique, se souvint-il de ces vers charmans et si humainement vrais, écrits jadis lorsqu’il appelait de tous ses vœux, et sur Laure et sur lui, les rigueurs du temps, espérant que l’âge le vengerait de ses soupirs dédaignés, et qu’après avoir vieilli côte à côte, la sévère dame se laisserait fléchir à l’amitié de celui dont elle avait méprisé l’amour. Souhaits, hélas! trop exaucés. Tous deux maintenant approchaient de la quarantaine, et Pétrarque, tout à la contemplation de ces traits gracieux et charmans jusque dans leur altération physique, ressentait à fond, pour la première fois, sur le seuil des années, un monde d’amertume et de regrets qui la veille encore n’existait que pour sa lyre et dont les réalités funèbres pénétraient désormais en son âme. Intimidés dans cette rencontre par un public très curieux à les observer, ils évitèrent discrètement de se parler, mais quelques jours après elle vint à Vaucluse.
C’était vers la fin de novembre, au tomber de la nuit ; elle apparut vêtue de blanc et son voile l’entourant de ses plis. Longtemps ils se promenèrent, la cascade mêlant son sanglot à leurs adieux. Ils parlèrent du passé plus que du présent, si maussade aux yeux de Pétrarque, et pour Laure si chargé d’ennuis et de tribulations domestiques. Hugues de Sade, son mari, la maltraitait ; ce bonhomme de Provençal, — tout insouciance et tout allégresse, — rentré au logis, devenait sombre, ironique et dur. Il avait la jalousie amère, sinon tragique, torturait, tuait à petit feu, et ce n’était point tout ; Laure avait à souffrir aussi comme mère, les façons d’être à son égard d’une de ses filles lui causaient un profond chagrin. Tels étaient les pensers qui remplissaient les intervalles de la conversation. Ils marchaient, tantôt se hâtant et la parole abondant sur leurs lèvres, tantôt ralentissant le pas, muets, la tête basse. Tout à coup il lui saisit la main, et le cœur brisé, les yeux en larmes : — Oh ! ce voile ! dit-il, ce cher voile, quand le reverrai-je ?
— Plus tôt que tu ne crois, répondit Laure d’une voix d’oracle, dont l’étrange vibration effraya Pétrarque.
— Dans mes rêves alors ?
— Peut-être !
La lune se levait, et le vent qui commençait à souffler mit son visage à découvert ; il la regarda et crut voir une transfigurée.
— Adieu, dit-elle en s’ arrachant de ses bras et lui faisant signe de ne point la suivre.
— Adieu ! s’écria-t-il en tombant à genoux, les bras étendus vers elle, et, le son se répercutant dans les profondeurs de la grotte azurée, tous les échos de Vaucluse aussitôt répétèrent : adieu !