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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/288

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venait l’entretenir, le corroborer dans sa certitude ? Aussi le fatal message, arrivant un mois plus tard, fut ouvert sans hésitation ; il en connaissait d’avance le contenu, et cependant dès les premières lignes ses pleurs coulèrent avec abondance. Il lut, relut le parchemin, puis, s’étant remis de son trouble, il prit son Virgile et, sur le premier feuillet, nota ces paroles qui sont peut-être ce que sa plume a jamais tracé de plus ému : « Laure, modèle de vertus et longtemps célébrée dans mes chants, m’apparut aux premiers jours de la jeunesse en l’église de Sainte-Claire d’Avignon, le 6 avril 1329, au matin, vers la première heure. Et dans la même ville, en 1348, encore un 6 avril, à la même heure matinale, cette lumière fut ravie de ce monde tandis que par hasard j’étais à Vérone, ignorant du coup qui me frappait : heu ! fati mei nescius ! Je me trouvais à Parme quand, le 19 mai au matin, une lettre de mon ami Luigi m’apporta la funeste nouvelle. Le jour même de sa mort, vers le soir, ce corps si chaste et si beau fut déposé dans l’église des Franciscains. De son âme, je pense ce que dit Sénèque de Scipion : elle était venue du ciel, elle y est remontée. C’est pourquoi, dans l’amertume presque douce de ma douleur, j’ai voulu consigner ce cruel souvenir sur cette page placée à chaque instant devant mes yeux ; ainsi vivrai-je avec cette pensée que rien ne saurait plus exister en ce monde qui me doive plaire, et que, de tels liens s’étant rompus, il s’agit de fuir loin de Babylone. Puissent la constante vue de ces paroles, et l’âge qui s’avance à grands pas, m’exhorter à l’absolu détachement, et Dieu me fasse la grâce d’envisager désormais d’un sens ferme et viril les frivoles soucis du passé, les espérances vaines et les événemens inattendus. »

Arrêtons-nous, restons sur ce bon mouvement : la poésie va le reprendre, mais cette fois avec l’accent de vérité. À cette âme trop accoutumée aux évaporations mélodieuses, le malheur apporte son recueillement, son lest humain : elle souffre, tant mieux, l’élégie en sera plus sincère. Dans ses Triomphes, imitation du Paradis dantesque, le lyrisme tue le pathétique ; les célestes roses recommencent à nous éblouir ; Laure, transfigurée en Béatrix, escalade les cimes du purgatoire flamboyant et ne se montre plus qu’à l’état de conception mystique. De cette forme terrestre qu’il a chérie, ses yeux ne perçoivent plus que le voile, montant toujours, flottant de nue en nue et finissant par disparaître dans une gloire fulgurante ; mais ce n’est là qu’une apothéose. La vraie douleur, l’émotion, ne les cherchons pas en dehors des sonnets : In morte di madonna Laura, lesquels sont à mon sens le plus beau fleuron de la couronne du poète, une larme parmi tant de joyaux ! Le Stabat de Pergolèse en certain de ses couplets, le Quando corpus moniteur