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y prendre aucune part. Ce long silence avait été rompu par une des exclamations les plus saisissantes qui aient jamais retenti dans la chambre des communes, mais où l’esprit sarcastique de son futur dominateur se révélait tout entier. M. Pitt venait de se démettre du pouvoir, remplacé par M. Addington et par quelques comparses politiques de leur parti. Un imprudent optimiste avait déclaré que la conduite des affaires ne saurait souffrir par suite de ce pur changement de personnes. « L’honorable membre estime sans doute, s’écria le jeune Canning, que ce sont les harnais qui traînent le char. » Précieux avertissement pour tous ceux qui pensent qu’il suffit de vaines formules pour gouverner les peuples ! Depuis lors que d’énergie, que d’efforts le célèbre orateur n’avait-il point épuisés pour parvenir à la domination suprême ! Mais des faiblesses de caractère et des imprudences de langage nuisaient sans cesse à tant de brillantes qualités et en paralysaient l’ascendant. « Ce pauvre Canning (poor Canning), » me disait habituellement lord Aberdeen en parlant de lui, et ceux qui l’avaient le plus intimement connu m’ont semblé avoir conservé un souvenir plus profond de ses imperfections que de ses qualités. A-t-il en effet manqué de l’attribut le plus essentiel d’un premier ministre, au dire de M. Pitt : la patience? Est-ce bien à lui que lord Liverpool faisait allusion quand il disait, plus familièrement, que « dans la politique, une once de bonne humeur valait une livre d’esprit (an ounce of temper is worth a pound of wit) ? » Ce qui est certain, c’est que son éloquence même, pour la postérité, semble empreinte encore d’une certaine infirmité de tempérament. Presque toujours la forme emporte le fond. Quand on relit ses harangues les plus célèbres, on est frappé des prodiges de pure élocution qui les distinguent. Toutefois, au milieu de tant d’images éclatantes, où retrouver l’accent d’altière domination qui électrise encore aujourd’hui dans la parole de M. Pitt? où rencontrer cette consciencieuse élaboration de la vérité, qui donne tant de persuasion à la fois et tant d’autorité aux lumineuses expositions de sir Robert Peel ? Le sentiment d’une impuissance fatale au sein même de la toute-puissance apparente a-t-il contribué en effet à la fin prématurée de M. Canning? Quoi qu’il en soit, à peine le pinacle fut-il atteint que la mort, jamais plus implacable, est venue le terrasser, et dès lors Robert Peel n’avait plus de rival dans les rangs parlementaires de son parti. Il sut justifier pleinement son éminente position dans les débats sur l’affranchissement des catholiques, mesure dont le principal honneur lui revient, dans les grandes luttes sur la réforme parlementaire comme dans les discussions moins spéculatives, où il excellait particulièrement. Aussi, quand en 1834 le roi Guillaume IV confia