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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/291

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son fils, dès l’âge légal de vingt et un ans, dans la chambre des communes, au sein de laquelle sa noble carrière de quarante et un ans devait s’accomplir tout entière. Le jeune Robert Peel ne s’imposa point dès l’abord, comme M. Pitt, à l’admiration de l’éminente assemblée par l’éclat de son talent et par sa précoce éloquence. Son progrès devait s’y manifester lentement, en dépit des sarcasmes de ses émules, que ses manières toujours froides et compassées n’ont jamais cessé d’éloigner de lui. Cependant les hommes d’affaires et de gouvernement ne tardèrent point à démêler les précieuses et solides qualités que de fortes études avaient développées, mais que sa réserve excessive ne faisait qu’imparfaitement valoir. M. Perceval, alors premier ministre, le nomma dès l’année suivante sous-secrétaire d’état des colonies; deux ans après, en 1812, lord Liverpool lui confia les fonctions de principal secrétaire d’état pour l’Irlande, qu’il remplit avec tant de distinction que nous le retrouvons en 1821 déjà secrétaire d’état pour l’intérieur. Le premier rang était ainsi laborieusement conquis, mais la première place dans le parlement était toujours occupée par un autre avec un éclat extraordinaire. Tandis que le jeune Peel se dévouait surtout aux importantes fonctions de son département, M. Canning, qui par la splendeur de son éloquence et de son renom éclipsait alors à la fois tous ses collègues et tous ses émules, représentait, comme ministre des affaires étrangères, la portion la plus libérale du parti tory. Aussi, à la mort de lord Liverpool, M. Canning fut-il chargé de former le nouveau cabinet, mais, trop engagés encore dans la politique de résistance, Robert Peel et le duc de Wellington ne lui prêtèrent pas leur concours.

Il est difficile de prononcer le nom de M. Canning sans contempler un instant sa tragique destinée. Quel usage le grand orateur aurait-il pu faire du pouvoir que la tardive et chancelante confiance de la couronne lui attribuait ainsi en présence de l’hostilité croissante de la majorité conservatrice et avec l’appui bien incertain de l’opposition libérale? Il est à remarquer qu’avec ses admirables facultés oratoires et sa longue pratique des affaires M. Canning ne réussit jamais à se créer, selon la locution consacrée de son pays, un véritable following, c’est-à-dire un cortège parlementaire imposant et dévoué. Sous ce rapport, il est toujours resté singulièrement inférieur, dans son parti et dans son temps, non-seulement à M. Pitt, son premier patron, et à sir Robert Peel, son successeur, mais à lord Liverpool lui-même, infiniment moins doué que lui en fait de capacité purement intellectuelle. Plus de trente années laborieuses s’étaient écoulées, en 1827, depuis le jour où son grand maître, effrayé de la fougue inconsidérée de ses débuts, lui avait prescrit d’assister à trois sessions de luttes parlementaires sans jamais