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whig semblait s’être momentanément évanoui. Sir Robert Peel était donc assis avec ses amis sur les bancs de la trésorerie quand je revis la chambre des communes, et il paraissait la remplir tout entière : jamais plus noble ambition n’avait reçu une plus noble récompense. Peut-être le prestige d’une pareille élévation exerça-t-il quelque influence sur mes impressions : je ne crois pas néanmoins m’être beaucoup trompé en jugeant que le caractère de sa parole s’était sensiblement modifié dans le court intervalle de mon absence. Il dissertait moins, exposait plus sommairement ses vues, et l’accent du commandement remplaçait souvent l’effort de la captation oratoire. Bien que, dans les circonstances nouvelles où se trouvait l’assemblée, les débats eussent évidemment beaucoup perdu de leur ardeur et de leur intérêt, et que le premier ministre fût fort habilement secondé par ses jeunes collègues, il ne s’affranchissait d’aucun des onéreux devoirs qu’impose en Angleterre la qualité de leader d’un grand parti. Il résumait et concluait dans toutes les délibérations importantes, il répliquait aux adversaires principaux, il répondait lui-même aux plus minutieuses interpellations. Toujours sur son banc et toujours prêt pour la lutte, il semblait vivre plus que jamais de la vie laborieuse du parlement, aussi attentif, aussi calme, aussi peu affairé que si tous les soucis du dehors lui eussent été étrangers. Quelquefois, à une heure avancée de la nuit, on le voyait prendre la plume, mais c’était pour rendre compte à la reine des incidens marquans de la séance, comme il ne manquait jamais de le faire, jour par jour et de sa propre main. Dans la plénitude de sa puissance politique et intellectuelle, il aimait à multiplier ces témoignages d’affectueuse déférence pour la personne royale, comme pour la couronne elle-même, mettant ainsi en pratique la qualité dominante de ses compatriotes, le respect pour ce qu’il est juste et sage de respecter. Que de fois je l’ai contemplé ainsi sur son banc parlementaire, image de la responsabilité permanente du pouvoir devant les représentans de la nation! Et, quand je songeais à l’immense empire de 200 millions d’âmes qui était ainsi gouverné par l’illustre fils de ses œuvres, je me passionnais de plus en plus pour les seules institutions qui puissent produire des hommes pareils, comme pour les hommes eux-mêmes qui savent si bien les honorer, les défendre et les pratiquer.

Mes rapports avec sir Robert Peel devenaient maintenant plus fréquens et plus intimes. Soit comme premier secrétaire de l’ambassade, soit comme chargé d’affaires, j’étais appelé souvent à conférer avec lui sur les incidens de la politique du jour, surtout quand ils pouvaient donner lieu à des interpellations dans la chambre des communes. L’esprit si éminent de sir Robert Peel était peu propre