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aux entretiens diplomatiques, à la juste appréciation ou au sage maniement des questions internationales. Connaissant peu l’Europe, moins encore les cours et les mœurs continentales, ne parlant aucune autre langue que la sienne, absorbé toute sa vie par des travaux d’un ordre tout différent, accoutumé à ces débats où le choix minutieux des termes est d’une importance secondaire, il se trouvait visiblement dans un élément qui n’était pas le sien dès qu’il était en présence de ces difficultés qui placent en conflit non plus les divers partis d’une même nation, mais les nations elles-mêmes. Lord Aberdeen, qui était chargé du département des affaires étrangères, possédait au plus haut degré ces avantages d’aptitude spéciale et d’expérience consommée qui manquaient à son chef. Nous avons jadis ici même[1] rendu un hommage mérité à la mémoire de cet éminent homme d’état, de ce grand homme de bien, modèle de la droiture et de l’honneur, si digne de nous inspirer la sympathie qu’il a toujours ressentie pour la France. Uni à sir Robert Peel par la plus étroite amitié, lord Aberdeen n’hésitait point à convenir de l’inquiétude avec laquelle il le voyait souvent, dans la chambre des communes, où il ne pouvait siéger lui-même, aux prises, sur des difficultés diplomatiques, avec un adversaire aussi formidable que lord Palmerston. Il multipliait d’avance les avertissemens, les directions, que le chef du cabinet acceptait et étudiait avec une touchante docilité, et, comme le moindre sentiment de jalousie ou de rivalité était aussi étranger à l’un qu’à l’autre, souvent le secrétaire d’état engageait les représentans des cours étrangères à voir le premier ministre pour le mettre directement en pleine possession de toutes les informations désirables. Les générations nouvelles ne sauraient concevoir les sentimens d’animosité réciproque qu’une guerre de vingt ans avait créés entre la France et l’Angleterre, la facilité avec laquelle ils étaient alors encore exaspérés, la constance avec laquelle des esprits pervers s’adonnaient à ce travail coupable des deux côtés de la Manche. Notre chambre des députés ne se distinguait point alors par une appréciation très judicieuse des grands intérêts de la France au dehors. Deux alliances importantes pouvaient seules s’offrir à nous, celle de la Russie et celle de l’Angleterre. Le frivole amendement annuel sur la nationalité polonaise suffisait pour rendre impossible tout rapprochement avec la cour de Saint-Pétersbourg, tandis que le droit de visite et une foule d’autres questions d’une importance secondaire étaient avidement exploités comme des sujets d’éternelle discorde avec la Grande-Bretagne. De leur côté, lord Palmerston et ses adhérens ne demeuraient point

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1861.