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pâleur de sa figure habituellement si vivement colorée : on me dit qu’à la suite d’une altercation nouvelle avec M. Disraeli, il s’était abandonné un instant au point de verser des larmes. La génération précédente avait vu couler également celles de M. Pitt lui-même lors du vote hostile des communes sur la conduite de lord Melville. Le résultat final devint ainsi de plus en plus apparent, de plus en plus inévitable. « Je ne resterai point au gouvernail durant les nuits de tempêtes, si la barre ne doit pas fonctionner librement, s’était écrié sir Robert Peel au commencement de cette mémorable session ; je ne consentirai point à conduire le vaisseau d’après des observations prises durant l’année 1842. » Ses volontés prévalurent en effet. La législation sur les céréales fut immolée en principe et sans retour; mais, le ministère ayant été au-devant d’un témoignage de confiance subséquent sur une mesure répressive réclamée par l’état de l’Irlande, la majorité du parti conservateur combina avec ostentation son vote hostile et décisif avec celui de l’opposition libérale.

Ainsi s’effondra le cabinet de sir Robert Peel dans les ruines du parti qu’il avait si laborieusement formé. Sa fin fut digne des splendeurs de son origine comme de sa trop courte existence. Une circonstance, fort imprévue par l’illustre homme d’état lui-même, vint encore ajouter à l’intérêt passionné qu’il excitait personnellement au moment suprême d’une puissance si singulièrement, mais si noblement sacrifiée. Un malheureux peintre, assez connu et assez aimé à Londres, M. Haydon, réduit au plus cruel dénûment, avait mis fin à ses jours. Aux demandes désespérées de secours qu’il avait précédemment adressées à plusieurs personnages importans, une seule réponse était parvenue : auprès du lit de mort, on avait trouvé une lettre de sir Robert Peel accompagnant les cinquante louis qui avaient soulagé les souffrances de ses derniers instans. C’est ainsi que, succombant lui-même sous tant de soucis, sous tant d’injustes attaques, le grand ministre avait eu le loisir de secourir le mérite infortuné et de fournir, bien à son insu, au public ce touchant témoignage de la bonté de son cœur comme de la charitable munificence qu’il pratiquait. Aussi sa retraite du pouvoir fut-elle d’un caractère insolite et non moins mémorable qu’inusité. Quand, le 25 juin 1846, le résultat du vote hostile qui plaçait le gouvernement dans une minorité de 73 voix fut annoncé, contrairement à tout ce qui se passe ordinairement en pareil cas, l’assemblée accueillit dans un profond et morne silence l’œuvre des oppositions coalisées ; mais à peine le ministre déchu eut-il quitté le parlement qu’une foule immense le salua, au dehors, de ses plus chaleureuses acclamations. Un étrange spectateur, Ibrahim-Pacha, fils du vice-roi d’Egypte Méhémet-Ali, ne fut pas le moins étonné parmi les témoins de cette chute, aussi triomphale que les victoires les plus