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alors du panégyrique le même cas que je fais aujourd’hui de la censure. » Des paroles aussi altières ne tendaient guère à rétablir la concorde, mais l’heure de la revanche attendue avec tant d’impatience et tant de persévérance se présentait enfin. Voyant la grande majorité de son parti en état de flagrante insubordination, M. Disraeli, se précipitant sur sa vengeance comme sur une proie assurée, devint l’instigateur et l’organe passionné de leurs ressentimens. Cette fois la chambre ne rit point. Plus de 200 voix conservatrices s’associèrent par leurs applaudissemens à ces paroles vengeresses, tandis que plus de 200 voix libérales acclamaient avec une égale frénésie la destruction déjà consommée du parti adverse. Tout ce que le désespoir longtemps refoulé de ses premiers échecs et de son génie méconnu pouvait fournir d’amertume, tout ce que l’animosité personnelle pouvait inspirer de sarcasmes, tout ce qu’une ambition longtemps cruellement déçue, mais touchant enfin à son triomphe, pouvait imprimer de chaleur et d’éclat à une parole depuis longtemps habilement cultivée, tout fit explosion à la fois dans une série d’attaques sans cesse renouvelées, sans cesse saluées par des clameurs d’adhésion. M. Disraeli a exprimé depuis dans des termes fort touchans les regrets que lui causèrent plus tard quelques souvenirs de cette époque, et il est certain que ces célèbres diatribes manquèrent trop souvent de mesure et d’équité; mais dans les circonstances exceptionnelles où elles se produisaient le succès en fut inouï. Je croyais rêver quand, sur ces mêmes bancs où j’avais vu si longtemps le grand ministre exercer une suprématie si douce et si incontestée, je le contemplais maintenant déjà déchu, déjà perdu sans retour et livré à la frénétique hostilité des trois quarts de l’assemblée. Il se défendit d’abord avec une rare éloquence, avec une sérénité, avec une patience plus rares encore, et, dans la minorité qui lui restait encore fidèle, des voix généreuses, comme celles de sir James Graham, de M. Sidney Herbert et surtout de M. Gladstone, se firent entendre avec éclat pour sa défense; mais l’épreuve dépassait les forces de l’humanité. Quelquefois l’accent, les paroles mêmes du grand patriote, témoignaient de l’indignation qui le consumait, et des blessures réciproques vinrent encore exaspérer le conflit. Jamais je n’oublierai son inflexion de voix quand un jour un de ses adhérens révoltés, ayant provoqué la gaîté de ses collègues par une expression malheureuse, sir Robert Peel dit dans sa réponse : « La chambre s’est étonnée qu’une ineptie ait été proférée ici par un membre du parti agricole ! » Mais, dans des passes d’armes pareilles, M. Disraeli était sans rival, et d’innombrables agresseurs se succédaient pour les éterniser. Le roi de la forêt était visiblement aux abois. Un soir, arrivant fort tard à la séance, je fus frappé de l’abattement sensible de sir Robert Peel et de l’extrême