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l’homme de guerre consommé fait renaître partout l’ordre, l’abondance, les forces effectives du pays, et à la France de la ligue succède la France du grand dessein. Ailleurs, un pays prospère et paisible est consterné par les progrès d’une révolution voisine. L’immense explosion menace de tout incendier, de tout engloutir autour d’elle. Des armées innombrables, créées, affolées par le souffle démocratique, brisent les vieilles frontières et répandent partout l’effroi de leurs exploits comme l’exaltation de leur propagande. Et pourtant les anciennes institutions ont leur raison d’être; les peuples voisins ont droit à leur indépendance et demeurent les arbitres légitimes de leurs propres destinées. Qui se mesurera contre le fléau déchaîné ? qui défendra la cause de la royauté nationale, de la liberté sagement réglée, des vieilles et tutélaires croyances? M. Pitt se lève. A sa voix, la nation perplexe et ébranlée se rallie autour du trône et répond au défi de l’extérieur par un défi non moins hautain, non moins résolu. L’Europe a reconnu son champion, la vieille civilisation son vengeur; mais il faut combattre, combattre durant vingt ans, sur terre, sur mer, dans toutes les parties du monde; il faut renouer sans relâche des alliances sans cesse brisées. Dans toutes les fortunes, au milieu des plus écrasans revers, les mâles accens du grand patriote répandent au loin la confiance indomptable qui l’anime. Un instant de défaillance, et tout serait perdu. Il succombe à la peine, mais sa voix, retentissant toujours dans le cœur de ses compatriotes, les conduira encore au triomphe final qu’il a prédit et assuré. À ces journées d’angoisses où l’intrépidité est la qualité dominante que réclament les peuples succéderont des jours paisibles et prospères. Affranchie de tout souci, de toute menace étrangère, comblée de prospérités et de jouissances, la patrie subira la redoutable épreuve de l’oisiveté. Qui mesurera les maux et les périls qu’elle porte dans son propre sein ? qui la défendra contre le plus redoutable de ses ennemis, — qui la protégera contre elle-même? On rapporte que M. Pitt, causant un jour avec M. Burke au plus fort de notre tourmente révolutionnaire, s’écria : « Pour nous, je ne crains rien. L’Angleterre tiendra jusqu’au jour du jugement. — C’est le jour sans jugement que je redoute, » répliqua le profond penseur. Quelle parole et quel avertissement ! Que deviendront, dans cette journée néfaste où le jugement public s’éteint dans la fureur populaire, les institutions sur lesquelles la science et la sagacité politiques se sont épuisées? Quand les chefs-d’œuvre de Raphaël attiseront la flamme qui consume les chefs-d’œuvre de l’architecture nationale, quelle grâce trouveront auprès de la populace en délire la grande charte, la déclaration des droits et les trésors accumulés de la jurisprudence parlementaire? Qui saura éloigner, conjurer