Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Châlons, à demi reconstituée, cherche à regagner le nord, Montmédy et Metz, à travers l’Argonne, l’invasion, maîtresse de la Lorraine comme de l’Alsace, nous devance ou nous suit sur nos lignes, prête à déjouer toutes les tentatives de jonction, coupant les routes, les chemins de fer, les télégraphes. C’est à peine si quelques communications rares, incertaines, toujours tardives, peuvent être échangées entre Mac-Mahon, qui est en marche, Bazaine, qui reste immobile, enveloppé de mystère sous Metz, et Paris, qui attend avec une anxiété fébrile. En plein pays français, on est réduit à ignorer ce que deviennent des armées, des villes, des provinces françaises. Le gouvernement lui-même, malgré tous ses moyens d’information, que sait-il ? Il est assailli de faux bruits, de nouvelles décevantes. Par le fait, il a si bien pris ses mesures qu’il ne sait rien de ce qui se passe sur la Meuse, sur la Moselle ou au fond de l’Alsace, pas plus qu’on ne sait au fond de l’Alsace et de la Lorraine ce qui se passe à Paris. La défense, et c’est là surtout l’habileté, la plus réelle victoire de l’ennemi dès le début, la défense n’est plus bientôt qu’une série d’efforts décousus, poursuivis dans une sorte d’obscurité, sans lien et sans direction, lorsque tout à coup éclate cette catastrophe de Sedan, qui, en emportant une armée et un empire, en provoquant une révolution d’indignation nationale, aggrave assurément toutes les conditions militaires, achève de briser toute unité d’action.

C’est une guerre nouvelle pour ainsi dire, la guerre transportée au cœur de la France, autour de Paris et sur la Loire. Or, pendant que ces événemens s’accomplissent ou vont s’accomplir, que deviennent Strasbourg et Metz à travers cette confusion croissante et désastreuse ? Comment la malheureuse ville de Strasbourg joue-t-elle son rôle de dernière gardienne de l’Alsace abandonnée ? A quoi s’arrête Bazaine de son côté ? Que fait-il pour aider à sa propre délivrance avant Sedan, pour concourir à la défense nationale après Sedan ? C’est une autre partie du drame qui commence à Strasbourg dès le soir de Frœschviller, à Metz dès le 19 août, le lendemain de Saint-Privat, pour se dérouler mystérieusement jusqu’à la fin, jusqu’à ces capitulations de l’impuissance ou de la défaillance qui livrent à l’ennemi une armée de plus et les deux premières citadelles françaises.


I

Vous vous souvenez peut-être de ce que l’auteur d’Hermann et Dorothée dit en traits à demi poétiques, à demi réels, de la fuite éperdue des populations rhénanes devant l’invasion. « De colline en colline, la troupe des émigrans s’étendait à l’infini… C’était triste