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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/356

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de voir sur des charrettes, sur des tombereaux, pêle-mêle entassés tous ces meubles qu’une maison renferme… Puis les femmes, les enfans, se traînaient péniblement avec des hottes et des paniers… Ainsi s’en allait tout le monde sans suite et sans ordre à travers la route couverte de poussière. »

C’est l’histoire de l’Alsace aux premiers jours d’août 1870 à l’approche des armées allemandes. Les paysans de Wissembourg, de Haguenau, de toutes ces contrées déjà envahies ou menacées, refluaient vers Strasbourg ou vers l’intérieur des Vosges, jusque vers Wasselonne, emmenant leurs chariots et leur bétail, allant camper dans les vallées et dans les forêts. Le soir du 6 août, au moment où le canon retentissait encore sur les hauteurs de Frœschviller et où les cuirassiers mouraient pour sauver l’armée, les routes, à partir de Haguenau, se couvraient d’émigrans terrifiés, et non-seulement d’émigrans, mais de fuyards du champ de bataille, zouaves et turcos à cheval, cavaliers démontés et traînant les débris de leurs armes, artilleurs sans leurs pièces, débandés de toute sorte. C’était comme un torrent humain roulant vers Strasbourg, tandis qu’au même instant un convoi du chemin de fer passait lentement chargé de blessés dont le sang dégouttait sur la voie, — et tout cela pêle-mêle allait frapper aux portes de la ville. La veille encore, depuis quinze jours Strasbourg, animée de tous les bruits, de toutes les ardeurs confiantes de la guerre, voyait défiler les états-majors, les officiers aux uniformes étincelans, les régimens d’Afrique arrivant à la suite de Mac-Mahon, ces divisions du 1er corps formées en toute hâte, un peu confuses, incomplètes, brillantes d’aspect néanmoins et marchant au combat avec une martiale bonne humeur. Pendant la journée même du 6, au bruit du canon lointain, on croyait jusqu’à deux heures à un succès. Tout à coup la déroute apparaissait sous ses couleurs les plus sombres, sous la figure des blessés, des fugitifs, de toute une population effarée, et ce n’était pas seulement une défaite, pour Strasbourg c’était l’Alsace abandonnée peut-être à l’invasion, l’ennemi aux portes, un blocus imminent ! Avant que quarante-huit heures fussent écoulées en effet, un parlementaire se présentait sous les murs, sommant la ville de se rendre. « Ce n’est pas sérieux, répondait aussitôt le commandant de la place, le colonel Ducasse, rabattant un peu l’humeur conquérante de l’Allemand ; Strasbourg ne se rend pas, venez essayer de la prendre ! » C’était là toute la question. À ce moment, on ne savait déjà plus rien, si ce n’est que l’armée française battue se dérobait à travers les Vosges, que la route de Paris venait d’être coupée et que l’ennemi arrivait. L’ennemi se hâtait effectivement, et se rapprochait d’heure en heure. Dès le 7 août, la division badoise du général de Beyer, détachée de l’armée du prince royal de Prusse, occupait Haguenau,