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trouve que fort peu d’ennemis, et repasser le Rhin plus haut. » Le conseil était assurément bien peu sérieux, bien peu en rapport avec la vérité des choses. C’était dire au général Uhrich de se tirer d’affaire comme il pourrait. Au moment où cette dépêche courait encore les chemins, on essayait à Strasbourg, non dépasser le Rhin, mais de troubler les premiers travaux de siège auxquels l’ennemi finissait par se décider. Le 2 septembre, le 87z de ligne, sortant par la porte de Saverne, s’élançait sur les batteries allemandes et soutenait un vif combat ; mais il se voyait bientôt arrêté, et le colonel Blot, un instant enveloppé, menacé d’être pris avec des marins qui l’accompagnaient, était obligé de se replier après avoir perdu 150 hommes. Voilà comment on pouvait passer le Rhin et se jeter dans le pays de Bade !

La vérité, la triste vérité, c’est qu’après avoir été si peu préparée à la guerre l’infortunée capitale de l’Alsace restait plus que jamais livrée à elle-même au milieu d’une effroyable crise qui cessait d’être un accident violent d’un jour ou d’une nuit pour devenir une lutte régularisée et implacable de tous les instans. D’un côté l’ennemi, déçu dans sa tentative d’intimidation sommaire, se mettait décidément au vrai siège. Le point d’attaque s’offrait de lui-même à ses coups, c’était l’ouest de la place, la partie la plus accessible, la moins protégée par les inondations artificielles de l’Ill, par tous les obstacles naturels. C’était par là aussi que l’ennemi arrivait, ayant l’avantage de s’appuyer au chemin de fer qui lui portait jusque dans ses travaux son artillerie, ses munitions, ses vivres. Il s’avançait méthodiquement, rapidement, aux premiers jours de septembre, sans interrompre le bombardement et sans être troublé par la défense, qui s’enfermait dans un rôle passif, probablement dégoûtée de toute entreprise extérieure par l’insuccès de ses premières sorties, se bornant à opposer le feu de ses batteries au feu des batteries allemandes. D’un autre côté, dans cette ville de plus en plus resserrée et accablée, la situation intérieure ne faisait que s’aggraver. Les défiances, les inquiétudes, s’accroissaient naturellement dans la mesure des souffrances de cette population réduite à chercher un refuge dans les caves. Les divisions politiques se réveillaient à leur tour, ajoutant aux misères du siège des récriminations et des plaintes plus légitimes, plus amères qu’opportunes. Une commission municipale, nommée par le préfet dès le 30 août et composée d’hommes de toutes les opinions, même d’adversaires du gouvernement, devenait aussitôt par la force des circonstances un centre d’opposition constituée, comme une autorité nouvelle s’élevant en face de l’empire frappé à mort. Il y avait des réunions publiques, des rassemblemens agités. Moralement et militairement tout empirait, lorsque tout à coup, dans cette obscurité douloureuse