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où l’on était réduit à vivre, pénétrait un peu d’air extérieur, un rayon de lumière venant révéler aux assiégés de Strasbourg les événemens qui se succédaient depuis quelques jours en France et les sympathies que leur infortune inspirait.

C’était une intervention inattendue et touchante d’humanité au milieu des tragédies de la guerre. Une députation suisse, députation toute privée, accréditée néanmoins par le président de la confédération, se présentait pour prêter à la ville éprouvée « l’aide et le secours que permettaient les circonstances, » pour offrir un asile aux femmes, aux enfans, à tous ceux qui auraient la liberté de se soustraire aux dernières fureurs du siège. Ce que le représentant armé de la Prusse avait refusé au gouverneur et à l’évêque de Strasbourg, il l’accordait à des neutres dont il n’aurait pu décliner la démarche sans offenser le sentiment de l’Europe ; il leur laissait le temps d’entrer à Strasbourg, de négocier la sortie d’un certain nombre d’habitans inoffensifs. Le 11 septembre, au milieu d’une population immense, la municipalité se rendait au-delà de la Porte-Nationale pour recevoir les délégués suisses, le docteur Rœmer, président de la commune de Zurich, le colonel de Büren, président de la commune de Berne, le docteur Bischof, secrétaire d’état à Bâle. Le feu avait été suspendu sur cette partie du rempart, un peu plus loin le canon ne cessait de retentir. « Soyez les bienvenus, disait avec émotion le maire de Strasbourg, M. Humann, aux délégués, soyez les bienvenus dans ces jours si douloureux pour notre cité… Rapportez à l’Europe le spectacle dont vous allez être témoins dans nos murs. Dites ce qu’est la guerre au XIXe siècle ! .. » Ce que virent les délégués sur leur passage et pendant les quelques heures de leur visite à Strasbourg, ils l’ont dit depuis : « une affreuse destruction, » des quartiers en ruines, « des magasins fermés, des fenêtres barricadées, » toute une population livrée aux fatalités d’une lutte implacable. Ces envoyés de la Suisse ne portaient pas seulement des sauf-conduits, la délivrance aux quelque 2,000 personnes qui purent en profiter, ils portaient aussi des nouvelles, les tristes nouvelles de la guerre, des défaites de la France. Ils racontaient Sedan, le mystérieux blocus de Metz, la chute de l’empire, la proclamation de la république à Paris. Ces nouvelles avaient sans doute un peu pénétré depuis quelques jours, d’une manière incertaine et équivoque, par l’ennemi, par une gazette de Carlsruhe introduite à Strasbourg : le témoignage des délégués suisses leur donnait un tel caractère de certitude et de précision qu’il n’y avait plus à douter.

Quelle influence pouvait avoir et avait sur la situation de Strasbourg la révolution qui venait de s’accomplir ? La république était proclamée à Strasbourg comme à Paris, le général Uhrich n’hésitait