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ses idées, et que dans cette glorieuse, mais malheureuse affaire de Saint-Privat, il ne voyait qu’une occasion pour l’armée de prendre dès le soir des positions qu’elle aurait prises dans tous les cas le lendemain. C’est ainsi du moins qu’il consolait le chagrin de ses officiers émus de l’insuccès de Canrobert, qui aurait pu être évité, et de tant de sang inutilement versé. Toujours est-il que définitivement rejeté sous Metz, Bazaine avait désormais à compter avec tous les élémens d’une situation nouvelle si étrangement aggravée et à prendre un parti. Se proposait-il dès lors de rester autour de Metz sous prétexte de « faire face à des nécessités stratégiques et politiques, » comme il le laissait dire dans une note presque officielle ? Ne cherchait-il au contraire qu’une protection momentanée pour refaire son armée, pour lui donner quelques jours de repos et la ramener au combat ? Gardait-il cette pensée qu’avec 120,000 vaillans soldats il pourrait toujours percer ces lignes prussiennes qui venaient de se replier sur lui ? C’était là au fond la question qui s’agitait obscurément dès les premières heures.

Précisons les faits. On est au 20 août. À ce moment encore rien n’est peut-être perdu. Les rencontres qu’on vient d’avoir depuis le 14, sans avoir été victorieuses, n’ont rien de décourageant pour des soldats qui gardent le sentiment de leur valeur, qui n’ont reculé qu’en infligeant à l’ennemi les pertes les plus dures, en lui enlevant même un drapeau, quelques canons, et en lui faisant près d’un millier de prisonniers. L’armée, atteinte dans ses cadres, mais intacte dans son moral et impatiente d’action, n’a besoin que de peu de jours pour se retrouver prête à tout entreprendre. Que se passe-t-il au dehors ? Un voile vient de dérober brusquement aux yeux des investis de Metz le reste de la France, la scène militaire. On sait seulement que Mac-Mahon est à Châlons, rassemblant des forces nouvelles, et qu’il va y avoir deux armées, — deux armées placées l’une et l’autre, par une combinaison bien étrange, sous le commandement supérieur de celui des deux chefs qui est prisonnier dans son camp. Le devoir est donc double pour Bazaine, qui, établi sous Plappeville, à la villa du Ban-Saint-Martin, reste chargé de conduire la campagne, de travailler à sa propre délivrance, en dirigeant de loin ceux qui doivent concourir à le délivrer. Rien n’est perdu peut-être, à la condition qu’on ne laisse pas l’ennemi se fortifier autour de Metz, l’armée s’affaiblir dans l’inaction et l’incertitude, la situation tout entière s’aggraver encore, et en effet Bazaine semble tout d’abord comprendre la nécessité de ne pas perdre de temps, de se dégager au plus tôt. Les premiers jours, à partir du 20, se passent en préliminaires d’un prochain mouvement : reconstitution des cadres, préparatifs de vivres, ordres de réduire tous les bagages. Les munitions, qu’on disait épuisées, ne manquent plus le 22, le général