Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ces plantes difficiles à acclimater qui ne prospèrent que sur un sol déjà préparé par d’autres végétaux plus vigoureux. Par une autre contradiction avec ses mœurs primitives, devenant en Amérique plutôt citadin qu’agriculteur, les barrières que l’esclavage opposait à l’établissement des laboureurs n’existaient pas pour lui. Aussi s’était-il répandu également dans le sud et dans le nord. Il avait adopté, avec cette souplesse d’esprit qui le distingue, toutes les passions de ceux au milieu desquels il vivait, et, lorsque la guerre éclata, l’on vit les Irlandais s’enrôler dans les villes du sud, où ils étaient fort nombreux, avec autant d’ardeur que leurs frères établis dans le nord embrassaient la défense du drapeau fédéral.

Aucun intérêt commercial ne séparait le sud de l’ensemble des états du nord. De grands fleuves formaient de tout le centre du continent un seul bassin, et tous ses produits venaient converger dans l’artère principale du Mississipi, dont les états méridionaux tenaient le cours inférieur. Absorbés par la culture du coton et de la canne à sucre, ils demandaient aux états de l’ouest la viande et les farines, qu’ils ne pouvaient produire en quantités suffisantes pour leur consommation. Le nord enfin leur fournissait les capitaux nécessaires à toutes leurs entreprises industrielles. Il est vrai que le sud chercha dans ce concours même le prétexte d’un grief nouveau en se prétendant exploité par ceux qui lui apportaient avec leurs richesses les moyens de féconder son sol, et au moment de la sécession toutes les dettes contractées par les commerçans et les planteurs du sud envers des créanciers du nord, et s’élevant, dit-on, à un milliard, furent déclarées abolies après que le gouvernement confédéré eut tenté en vain de les confisquer à son profit; mais ce grief, qui est celui de tous les pays arriérés contre leurs voisins plus prospères, ne saurait toucher les esprits sérieux. Les reproches adressés par les cultivateurs du sud aux états du nord à propos des tarifs protecteur qui favorisaient les manufactures de ces derniers étaient plus spécieux; en réalité, ils n’étaient pas mieux fondés, car le tarif Morrill, le plus élevé qu’aient eu les États-Unis, fut voté sous le gouvernement de M. Buchanan, alors que le président et le congrès étaient dévoués aux intérêts du sud : s’ils laissèrent passer cette mesure, qu’ils pouvaient empêcher, c’est qu’ils ne la croyaient pas dangereuse pour ces intérêts. Si la question commerciale avait été en jeu dans la lutte politique qui amena la guerre civile, les états de l’ouest auraient eu autant de motifs que ceux du sud pour se séparer des districts manufacturiers de New-York, de la Pensylvanie et de la Nouvelle-Angleterre, dont les forges et les filatures redoutent la concurrence anglaise, et ils se seraient joints à lui pour défendre le système du libre échange. Les propriétaires