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à Paris un bouleversement qui avait établi, sans répandre de sang, la république à la place de la régence, » que cette république n’était pas « reconnue partout en France, » qu’elle n’était pas reconnue non plus par « les puissances monarchiques, » que le roi marchait sur Paris « sans rencontrer de forces militaires françaises. » La lettre était adressée au « maréchal de l’empire » Bazaine, et elle finissait par ces mots énigmatiques, assez étranges s’ils n’avaient pas été provoqués : « du reste votre excellence me trouvera prêt et autorisé à lui faire toutes les communications qu’elle désirera. » De ces communications, a dit Bazaine, « on en prend et on en laisse. » Il en prenait par malheur plus qu’il n’en laissait. La lettre du prince Frédéric-Charles l’impressionnait plus vivement qu’il ne l’avouait ; elle le confirmait dans l’idée que Paris n’avait plus d’armée pour se couvrir, que le gouvernement de la défense nationale n’était pas reconnu et qu’on ne refuserait pas de traiter avec lui.

Chose plus grave et qui prouvait déjà une étrange tactique de la part du chef de l’armée française ! Bazaine ne disait rien à ses lieutenans de ces premiers rapports ouverts avec le prince Frédéric-Charles, et en même temps il leur transmettait sans aucune précaution, sans tenir compte de la liberté d’un rapport tout confidentiel, les renseignemens les plus décourageans recueillis aux avant-postes prussiens par un attaché d’ambassade, M. Debains, qui avait essayé vainement de passer à travers les lignes ennemies. Il laissait se répandre jusque dans les camps tous les mauvais bruits, les nouvelles alarmantes, tout ce qui semblait justifier son inaction, et pouvait faire désespérer de la France. Les premières communications avec le prince Frédéric-Charles sont du 16 septembre. On a maintenant le secret de ce mot que M. de Bismarck disait trois jours après, dans l’entrevue de Ferrières, à M. Jules Favre : « Je dois vous prévenir que Bazaine ne vous appartient pas. » M. de Bismarck parlait ainsi de Bazaine à M. Jules Favre, de même qu’il faisait savoir à Bazaine que la république n’était pas reconnue. Il jouait son jeu ; il énervait la défense en se servant de tout, même d’un mot ou d’une lettre, dans l’intérêt allemand. Premier et fatal résultat d’une démarche irréfléchie et irrégulière.

Une fois dans cette voie, hors de la règle et du devoir, le maréchal Bazaine est sur la pente des dissimulations, des intrigues obscures et des périlleuses condescendances. Ces dispositions d’esprit le livrent désarmé à toutes les tentations, au premier aventurier, inconnu qui s’offre à lui sous le nom de Régnier. Jamais certes le dieu hasard n’introduisit un plus singulier comparse de l’histoire, un plus bizarre épisode dans une plus douloureuse tragédie ! Le 23 septembre au soir, sept jours après la lettre du prince Frédéric-Charles, un parlementaire mystérieux se présente aux avant-postes