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devoir militaire ; il y avait des armées françaises qui se battaient déjà devant Paris ou qui se formaient sur la Loire et qui pouvaient résister. Les soldats de Metz auraient donc pu avoir la mission de « réduire à l’obéissance une armée française ? » — « Jamais de la vie nous n’aurions fait une chose pareille, » répond le maréchal Bazaine. La convention qu’il méditait, qu’il espérait, pouvait cependant le conduire à cette extrémité, ou sûrement elle n’eût point été acceptée par l’ennemi. Ce malheureux homme en était là, se débattant dans ces trames tendues autour de lui par un aventurier que M. de Bismarck rejetait après s’en être servi, après avoir appris par lui les deux seules choses qui pussent lui être utiles, la limite des ressources de Metz et les dispositions réelles du maréchal.

Lorsque Bazaine se perdait dans de si dangereuses combinaisons, il est clair qu’il ne pouvait poursuivre bien vivement la guerre pas plus qu’il ne devait être fort pressé de se mettre en communication avec le gouvernement de la défense nationale. Il laissait passer des jours précieux, bornant l’action de son armée à de petites opérations autour de Metz sur Lauvallier, Vany, Colombey, Peltre, Mercy, et, pendant que ces jours s’écoulaient, les ressources diminuaient naturellement. Depuis le commencement de septembre, on mangeait les chevaux, et ceux qui restaient périssaient d’inanition ; ils n’auraient pu faire une étape, selon le mot du général Bourbaki. Les hommes campés dans la boue, sous des pluies presque continues, mal abrités par leurs petites tentes, se ressentaient de ces intempéries aussi bien que de la réduction graduelle des rations. A mesure que le temps passait, la vigueur physique s’altérait ; on ne manquait pas de cœur, on perdait des forces, de telle façon que ce qui était certainement possible encore aux premières semaines de septembre devait nécessairement devenir d’heure en heure plus difficile. Un jour vint cependant où, pressé par les circonstances, ne voulant pas sans doute laisser cette armée s’épuiser jusqu’au bout sans combat, peut-être aussi impatienté de ne plus entendre parler de rien après ce qui venait de se passer, Bazaine semblait se réveiller et vouloir sortir de son immobilité. Le 2 octobre, on enlevait avec entrain le château de Ladonchamps dans la vallée de la Moselle au-dessous de Metz. Ce coup de main vivement accompli paraissait n’être que le prélude d’une opération plus générale et plus sérieuse. Le maréchal avait l’air de revenir à ses projets de sortie et démarche sur Thionville en suivant cette fois la vallée. On parlait de nouveau dans les états-majors d’un départ prochain, l’ardeur se ranimait dans les camps. Il s’agissait d’abord d’une entreprise décisive, puis ce n’était plus qu’un grand fourrage, et en définitive tout se réduisait à une affaire brillante, meurtrière, mais sans résultat.