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général Boyer en rappelant la capitulation de Sedan ; le 25 octobre au soir, dans une entrevue avec le général de Cissey, le général de Stiehle les résumait en termes sommaires et implacables : reddition complète et absolue de l’armée et de la place de Metz avec armes, bagages, drapeaux et matériel de toute nature. Puisqu’on s’était laissé conduire là, comment échapper au suprême destin ? On avait beau se débattre encore le 26 au matin dans un conseil où le maréchal Bazaine semblait vouloir s’effacer devant ses lieutenans et confondre sa responsabilité personnelle dans la responsabilité collective de tous les généraux : la nécessité inexorable pesait sur tout le monde et d’abord sur le commandant supérieur. C’était maintenant au chef d’état-major de l’armée, au général Jarras, de se rendre à Frescaty pour régler officiellement des conditions définitives qu’on pouvait à peine songer à discuter.

Des concessions de fond, il n’y en avait plus à espérer, dès qu’on n’était plus en mesure de les arracher. Le général Jarras portait tous ses efforts sur deux points : les honneurs de la guerre pour l’armée et le droit pour les officiers de garder leur épée. La question restait indécise à la première conférence. Que se passait-il alors dans l’intervalle de quelques heures entre les deux entrevues où se rencontraient le général Jarras et le général de Stiehle ? Le quartier-général prussien, après avoir pris les ordres du roi à Versailles, ne refusait plus aux officiers français le droit de garder leur épée. De son côté le maréchal Bazaine, après avoir paru attacher un grand prix aux « honneurs de la guerre, » semblait les refuser. Il avait réfléchi. C’était peut-être en effet assez délicat, assez périlleux, de faire défiler en armes sous les yeux de l’ennemi des troupes irritées, aigries par le malheur, convaincues qu’on n’avait pas fait tout ce qu’on avait pu pour leur épargner cette poignante épreuve ; mais on aurait dû y songer plus tôt. En s’abstenant d’invoquer le prétexte puéril du mauvais temps, on ne se serait pas exposé à ce que le général de Stiehle répondît que les questions de température n’entraient pour rien dans les résolutions de l’état-major prussien ; en ayant l’air de vouloir maintenir ostensiblement, pour le public, une clause d’honneur, qu’on demandait à ne point exécuter par prudence, on risquait de s’entendre dire que les Allemands ne mettaient dans une convention que ce qu’ils étaient résolus à exécuter. Enfin, avec plus de soins, avec une sollicitude plus attentive, avec une préoccupation plus jalouse des intérêts du pays et des susceptibilités de l’armée, on aurait profité du temps qu’on avait pendant les négociations pour détruire le matériel, pour brûler les drapeaux. On ne se serait pas perdu dans des ordres contradictoires, évasifs, où le malheureux général Soleille jouait un