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singulier rôle et où le maréchal Bazaine semblait subordonner le sentiment de la dignité de son armée à la crainte de mécontenter l’ennemi.

La capitulation était signée le 27 octobre, et cette douloureuse résolution allait retentir dans Metz comme dans l’armée, provoquant une explosion d’amertume et d’irritation. La fatalité l’emportait. Une armée de plus de 120,000 hommes allait être traînée captive en Allemagne. La citadelle de la Lorraine tombait. La faute n’était pas de se rendre quand on ne pouvait plus résister, quand on n’avait plus de pain ; mais à ce moment ce passé de soixante-dix jours se redressait contre le maréchal Bazaine. Évidemment, s’il ne s’était pas laissé aller à une de ces longues et coupables préméditations de trahison qui heureusement sont toujours rares, il n’avait pas fait tout ce qu’il aurait pu faire. Il avait eu un commandement insouciant, équivoque, incertain. Il avait perdu les plus favorables occasions, et il avait laissé dépérir cette vaillante armée qui ne demandait qu’à combattre. Il avait manqué de prévoyance dans l’administration des ressources de l’armée de la ville. Dans ses relations avec les généraux, il avait eu des réticences dangereuses ; il avait associé ses lieutenans, à leur insu, à des responsabilités dont ils ne pouvaient se rendre compte, il les avait entraînés dans une voie où leur instinct se serait révolté dès les premiers pas, s’ils avaient été prévenus. Il avait sacrifié à des calculs politiques les plus simples devoirs militaires, et c’est ainsi qu’il se trouvait conduit à cette extrémité, où la capitulation du 27 octobre, si cruelle, si désastreuse qu’elle fût, était peut-être encore préférable à ce qui serait arrivé si les négociations qu’on avait engagées avaient réussi, puisque la guerre civile pouvait être au bout de ces négociations. Telle qu’elle était, cette catastrophe, elle enlevait à la France sa plus belle armée, et de même qu’un mois auparavant la chute de Strasbourg permettait aux 50,000 Allemands de Werder de se porter à travers les Vosges sur la Saône, la chute de Metz permettait maintenant aux 200,000 hommes du prince Frédéric-Charles de se porter sur la Loire ou vers le nord. L’empire se survivait par les désastres qu’il allait étendre et précipiter indirectement, après les avoir provoqués et aggravés directement par sa légèreté et par son imprévoyance.


CHARLES DE MAZADE.