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l’état des rapports commerciaux. L’Angleterre le comprend; elle regrette parfois d’avoir à payer l’argent cher, mais elle ne récrimine jamais contre cette nécessité, elle la subit sans se plaindre. Chez nous au contraire et dans d’autres pays non-seulement on s’irrite contre l’élévation du prix de l’argent quand elle a lieu, mais on se figure qu’on peut y échapper avec des suppléans tels que le papier-monnaie. Cela ressemble au fait de gens qui, voyant le baromètre marquer le mauvais temps, pousseraient l’aiguille pour lui en faire indiquer un meilleur. Le mauvais temps continue néanmoins, et, pour la question qui nous occupe, les expédiens qu’on imagine afin de conjurer la crise ne font que l’aggraver. On peut se rappeler ce qui s’est passé en 1857, 1863 et 1864, lors des derniers embarras commerciaux que nous ayons subis : l’encaisse de la Banque de France baissait avec une rapidité effrayante. Il n’y eut bientôt plus, en 1863 notamment, que 205 millions pour rembourser 807 millions de billets au porteur, sans compter les dépôts publics et particuliers, qui s’élevaient à une somme de 218 millions. La situation était grave, et la Banque était menacée de ne plus pouvoir continuer ses paiemens. Fallait-il, comme le proposèrent certaines personnes qui firent du bruit à cette époque, courir le risque de l’épuisement complet de la réserve métallique, et adopter le cours forcé plutôt que d’élever sensiblement le taux de l’escompte? Nous avions le change défavorable, on demandait le remboursement des billets non par défiance, mais parce qu’on avait besoin d’envoyer au dehors des espèces métalliques, et l’on ne pouvait s’en procurer directement qu’à la Banque. Si, pour éviter les inconvéniens du remboursement des billets, on avait adopté le cours forcé, on aurait fait le contraire de ce qu’il y avait à faire, de ce qui était commandé par les circonstances. Pourquoi avions-nous le change contre nous, et pourquoi le numéraire s’en allait-il? Parce qu’on avait dépassé la mesure dans les opérations commerciales, qu’on avait acheté au-delà de ce qu’on pouvait vendre et qu’il fallait payer la différence en numéraire. Nos magasins étaient pleins de marchandises portées à des prix où il n’y avait plus d’acheteurs. Et qu’est-ce qui alimentait cette spéculation? qu’est-ce qui l’avait fait arriver au point où elle était? C’était précisément la facilité avec laquelle elle trouvait à escompter son papier. Il en résultait une situation factice et même une apparence de prospérité qui trompait tout le monde. On se figurait que la hausse des prix était due au progrès de la richesse quand elle n’était que le produit de l’agiotage. Si on avait continué dans cette voie, maintenu l’escompte au taux où il était et adopté le cours forcé, on n’aurait pas tardé à voir le papier-monnaie se déprécier sensiblement et amener des catastrophes effroyables. — Grâce à Dieu, le bon sens