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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/422

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bonjour,... mon mari venir, etc. Elle apprit plus tard à se servir des pronoms, mais jamais elle n’en fit un usage correct.

Quoi qu’il en soit, et il importe de bien constater le fait, si le langage est perdu, souvent la parole ne l’est pas, et le fait d’un malade qui dit distinctement le mot tan suffit à démontrer que les muscles qui servent à la parole ne sont pas détruits et subsistent dans leur intégrité. Il arrive d’ailleurs quelquefois que sous l’empire de la frayeur, de la colère ou de la joie, et même sans cause appréciable, les aphasiques laissent échapper un mot qu’ils n’avaient pas encore prononcé depuis le début de leur maladie; ils le disent nettement deux ou trois fois, puis ils sont incapables de le répéter.

Si l’aphasie est réellement l’impuissance du langage, l’écriture, ce langage écrit, doit être supprimée chez les aphasiques. Cela se voit en effet le plus souvent : il est cependant des cas où les malades peuvent écrire; mais, si le fait existe, il est très rare. Forbes Winslow en rapporte un cas fort intéressant. C’était un jeune gentilhomme, d’une des plus grandes familles de l’Angleterre, qui ne pouvait exprimer sa pensée au moyen du langage. Les mots qu’il disait étaient baroques et vides de sens. Quand on le faisait lire à haute voix, il ne parvenait pas à se faire comprendre, et baragouinait des syllabes inintelligibles. Cependant il lisait mentalement, il écrivait assez bien, quoiqu’il se trompât parfois de mots ; il jouait aux échecs et gérait ses affaires, tandis qu’il lui était impossible de prononcer les lettres de l’alphabet.

Néanmoins il est rare que les aphasiques aient conservé la faculté d’écrire. La plupart du temps ils ne peuvent pas plus transmettre leur pensée par le langage écrit que par le langage parlé. Il faut même distinguer deux degrés dans le trouble de l’écriture, et comme les malades sont lents à guérir, c’est par le retour graduel de leur intelligence qu’on peut apprécier ces deux périodes de leur maladie. D’abord ils ne peuvent tracer que des lignes droites et des lignes courbes, qui ne ressemblent pas le moins du monde à un mot écrit : ils sont à la rigueur capables de copier un mot qu’on leur montre, et dont on épelle les lettres; c’est tout ce qu’on obtient d’eux. Dans la seconde période, ils tracent des mots, des syllabes sans suite, sans cohésion: mais enfin c’est le commencement de leur guérison, c’est le bégaiement de leur intelligence qui s’exerce à traduire la pensée par des signes. Pourtant il en est qui ne guérissent jamais, et qui restent toujours incapables de rien écrire. — Rostan ne pouvait écrire qu’il voulait être saigné, et pourtant il n’était pas paralysé, et sa volonté était restée intacte. L’aphasique que j’ai vu à l’Hôtel-Dieu ne put écrire son nom avec les lettres de l’alphabet que je mettais devant lui, en lui disant de choisir. Un malade observé par Marcé, médecin éminent dont la science regrette la perte prématurée, ne