Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/426

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enfin cause d’un mouvement régulier. Seulement la différence entre une dépêche télégraphique et notre pensée, c’est que la dépêche est transmise sans modification et telle qu’elle est, tandis que notre pensée subit sans aucun doute des transformations importantes dans ces centres actifs qui la reçoivent et la transmettent.

On peut appliquer ces données à l’étude du langage et de l’aphasie; mais il faut auparavant examiner jusqu’à quel point on doit admettre la localisation du langage. C’est une question difficile qui a soulevé des controverses nombreuses; il y a dix ans, l’Académie de médecine en a fait le sujet de plusieurs de ses séances; depuis cette époque, malgré un certain nombre d’observations recueillies avec soin, on ne peut pas encore donner de conclusions précises, et c’est un sujet environné d’obscurités.

C’est M. Bouillaud qui, en 1825, annonça le premier que, toutes les fois qu’il y avait une lésion profonde de la partie antérieure des hémisphères cérébraux, il y avait aphasie. En 1836, M. Dax lut au congrès de Montpellier un mémoire sur la coïncidence de l’aphasie avec la lésion de l’hémisphère gauche; mais ce mémoire resta à peu près inconnu, et c’est M. Broca qui le premier a précisé quelle était la partie du cerveau dont la destruction entraînait la perte de la faculté du langage articulé : d’abord l’hémisphère gauche, chose étrange dans un organe aussi symétrique que le cerveau, en second lieu la partie antérieure de cet hémisphère, et enfin, pour être encore plus affirmatif, la troisième circonvolution cérébrale.

L’assertion souleva une vive polémique. On recueillit les faits épars, et on remarqua qu’en effet l’aphasie coïncidait généralement avec des paralysies du côté droit. Or les paralysies à droite sont amenées par la lésion du cerveau gauche, grâce au trajet oblique que suivent les fibres nerveuses en sortant du cerveau. D’après un relevé fait en 1865, sur 135 cas, 125 cas d’aphasie étaient accompagnés de paralysie à droite et 10 seulement de paralysie à gauche. Peut-être faut-il rapprocher ce fait de la particularité bizarre qu’offrent certains individus qui sont dits gauchers. Ordinairement les enfans ont une disposition marquée à se servir de la main droite plutôt que de la main gauche. C’est un instinct, quelque chose de fatal et d’irrésistible, que la volonté et l’éducation sont à peu près impuissantes à modifier. Quelquefois cependant on voit des enfans qui, élevés comme tous les autres, ne peuvent se servir commodément que de la main gauche. Personne n’a pu expliquer la cause de cette anomalie, qui passe inaperçue pour ainsi dire aux yeux de tant de personnes, et qui n’en est pas moins un fait bien étrange. Il est probable que pour la parole il y a quelque chose d’analogue; aussi a-t-on dit des malades aphasiques avec paralysie à gauche qu’ils étaient gauchers de la parole.