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triste comme une orpheline vers des parens dont elle se souvenait à peine; sa situation présentait en apparence quelques analogies avec celle de Max, que sa mélancolie toucha bien avant qu’il n’eût remarqué sa beauté. D’une timidité presque farouche avec tous, elle se laissa peu à peu apprivoiser par ce jeune homme, qui, comme elle, était en deuil, et qui lui marquait son intérêt par des égards respectueux. La pauvre vieille sous-maîtresse, qui lui eût servi de chaperon, si le mal de mer ne l’eût retenue mourante dans sa cabine pendant une bonne partie de la traversée, n’aurait pu trouver rien à reprendre dans l’intimité qui s’établit graduellement entre les deux jeunes passagers. Max veillait beaucoup mieux qu’elle n’eût pu le faire elle-même sur Mlle Hamlin, et le tact qu’il apportait dans ses témoignages de protection lui gagna, avec la sympathie de la jeune fille, l’estime de la gouvernante. Vive et tendre, Lili n’avait plus personne à aimer depuis quelques jours lamentables, remplis par des larmes qu’elle laissait encore couler dans ses conversations avec Max, mais dont la source ne tarda pas à se tarir sans qu’elle comprît bien comment. Au départ, elle regrettait sa marraine morte, la France, qui s’effaçait dans le lointain; tout à coup, — rien n’était changé pourtant, — elle fut toute surprise de se sentir heureuse.

La vie à bord autorise des rapprochemens bien plus étroits et plus fréquens que la vie sociale ordinaire; elle est féconde aussi en émotions qui ouvrent l’âme aux sentimens exaltés. Le mot d’amour peut n’être pas prononcé, — il ne le fut jamais entre Max et Lili, mais tous deux l’entendirent; il y eut des aveux, il y eut des sermens échangés sans paroles, tandis qu’ils regardaient s’allumer l’incendie des étoiles ou tournoyer, écumeuse, la ligne d’argent du sillage. Puis, pendant les heures dévorantes où le soleil dans toute sa force embrase la mer et où règne à bord le silence de la sieste, Lili, accablée par la chaleur, écoutait, rêveuse, le menton sur sa main, les vers de Lamartine que lui lisait Max à demi-voix avec le majestueux accompagnement des vagues bourdonnantes. Quand les passagers autour d’elle se plaignaient d’étouffer, gémissaient de la longueur du voyage, consultaient la carte ou le chronomètre avec une impatience fiévreuse, ces gens-là lui semblaient fous. Peu importait de savoir où l’on était, vers quel point l’on voguait, elle ne pouvait être mieux pour sa part et aurait voulu éterniser la traversée. L’usage est après dîner de jouer, de causer, de fumer, réunis dans le carré. Max se tenait à l’écart, seul avec ses rêveries, comme font volontiers les amoureux. Avec une délicatesse que la jeune fille ne pouvait comprendre, il s’éloignait d’elle pour éviter de donner prise aux remarques plus ou moins malicieuses des groupes d’oisifs qui composaient sur ce navire une véritable société de petite ville;