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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/451

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— Avertissez M. Henrique de Lora que l’affaire dont j’ai à l’entretenir ne souffre pas de retard, insista Max.

Il fut introduit dans une sorte de fumoir, situé à l’écart des appartemens de réception et où on le laissa seul assez longtemps. Cette pièce, tendue de nattes et entourée d’un divan circulaire très bas qui invitait à la paresse, avait pour unique ornement des trophées de chasse et d’armes variées révélant que celui qui l’habitait avait hérité des goûts de ses ancêtres, grands batteurs de forêts, grands tueurs d’ours. M. Henrique de Lora entra ganté de blanc, une fleur épanouie au revers de son habit et de l’air d’un homme pressé d’expédier une corvée. Le nom de Maxime d’Arcy avait suffi pour l’irriter, car il attribuait secrètement à ce personnage le refus de Mlle Hamlin d’assister au bal donné en son honneur et qui, annoncé longtemps d’avance, devait servir de préliminaire, croyait-on, à une plus sérieuse solennité. Dans la Louisiane, où dominent encore certaines mœurs françaises, les jeunes filles, tout en ne le cédant pas, lorsqu’il s’agit de coquetterie, à leurs rivales du nord, jouissent d’une liberté moins grande que ces dernières pour le choix et la conquête d’un mari. Sans prétendre le moins du monde contraindre Lili, son père avait caressé pour elle le projet d’une alliance qui réunît tous les avantages du rang et de la fortune, sans parler de séductions d’une autre sorte, car M. Henrique de Lora, en dépit de son teint bilieux, passait pour un des beaux de la Nouvelle-Orléans; mais ce n’était ni la vanité, ni l’ambition qui devait décider de l’avenir de Lili, c’était le cœur, avec lequel on n’avait pas compté. Frappé du coup de foudre, moins rare qu’on ne pense, bien que méconnu souvent, qui nous fait deviner dans la foule celui auquel nous destinent des puissances plus fortes que notre sagesse et notre volonté, ce cœur neuf et loyal s’était donné presqu’à son insu, et Lili n’aurait ni su ni voulu le reprendre. Mme de Lora, qui se trouvait chez les Hamlin lors de l’arrivée de leur fille, avait parlé à son fils de la scène orageuse dont le hasard l’avait rendu témoin. L’un des premiers mots de la jeune voyageuse fut pour se louer des prévenances et des attentions de toute sorte dont elle avait été l’objet de la part de M. d’Arcy. Ce nom mit une brusque fin aux épanchemens joyeux de la famille. — La pauvre enfant est ensorcelée, disait Mme de Lora. — Le malheur voulut aussi qu’Henrique, après s’être montré assez récalcitrant aux projets de sa famille lorsqu’il s’agissait d’une inconnue, trouvât Mlle Hamlin à son goût. La froideur même qu’elle témoigna dès leur première entrevue lui fut un motif pour s’enflammer ; il n’était pas habitué aux obstacles, et le plaisir d’humilier un fils d’esclave devait rendre plus piquant le triomphe qu’il prévoyait. Bien entendu, Henrique eût rougi d’appliquer