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de Candolle a exposé avec sa haute compétence une question d’intérêt très général, l’origine de la végétation des Alpes[1]. Parmi les communications des deux premiers jours, deux surtout méritent d’être citées comme preuves de l’intérêt de la session : d’abord un fait capital de paléontologie, puis une discussion pleine d’actualité sur la nature des lichens.

Botaniste, géologue, naturaliste dans le plus large sens du mot, familier avec la paléontologie de tous les terrains, M. le professeur W. Schimper, de Strasbourg, a pu déterminer avec certitude un fossile découvert, je crois, par M. Sismonda, et conservé comme pièce unique et précieuse dans le musée de l’université de Turin. Bien que réduit à une seule rosette ou verticille de feuilles dont la substance est transformée en charbon anthracitique, ce fossile n’est rien autre que l’annularia sphenophylloïdes, végétal peut-être aquatique, très répandu dans le terrain houiller du système du Mont-Blanc : l’intérêt très particulier du spécimen en question gît dans la nature de la roche qui l’englobe; c’est un morceau de protogine venu sous forme de bloc erratique des flancs du Mont-Blanc dans les plaines du Piémont. Or la protogine, en sa qualité de roche cristalline granitoïde, a longtemps été regardée comme étant essentiellement plutonique, c’est-à-dire comme sortie du sol à l’état de fusion ignée. Avec une telle hypothèse, la présence d’un fossile est inexplicable; au contraire, dans l’hypothèse d’une origine neptunienne, par dépôt dans l’eau des élémens de la roche ultérieurement modifiés dans leur structure par l’action métamorphique des terrains ignés contigus, les faits s’expliquent d’eux-mêmes, et l’annularia devient comme une médaille d’origine d’un terrain controversé.

Un autre sujet de controverse agite et passionne presque en ce moment le monde des botanistes voués à la séduisante et pacifique étude des cryptogames. Il s’agit d’être fixé sur la vraie nature des lichens, singuliers organismes qui couvrent d’expansions foliacées ou fruticuleuses, ou de croûtes diversement colorées, les écorces d’arbres, les rochers, la terre même. Quelle qu’en soit la coloration extérieure, blanc mat, gris, bleuâtre, verdâtre, jaune ou orangée, ces lichens présentent toujours dans l’épaisseur de leur thalle (on appelle ainsi les expansions diverses qui les constituent) un certain

  1. « L’idée de mon mémoire, nous écrit M. de Candolle, est que les localités riches en espèces rares ou nombreuses, dans toute l’étendue de la chaîne des Alpes, sont celles où l’époque glaciaire a cessé le plus tôt. Je montre le fait. Je conclus en disant que ce n’est probablement pas un effet du hasard. Tout porte à croire que le revers méridional, dégagé des glaciers quand toute la Suisse en était encore recouverte, a conservé les restes d’une flore antérieure, alpine et subalpine, qui s’ajoutent aux plantes modernes. Du reste dans d’autres cas l’ancienneté de la végétation sur un point du globe est une cause de richesse : voyez le Cap, le Brésil, comparés à la pauvreté des îles nouvelles ou des régions arctiques naguère sous glaces. »