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de chevaux, une mobilité suffisante. Le canon de 12 seul pèse 880 kilogrammes, avec l’affût et l’avant-train chargé de munitions 2,127 kilogrammes. On l’attelle à six chevaux, et on ne peut en mettre davantage, car un plus grand nombre ne saurait manœuvrer avec ensemble. Il y a donc, avec des chevaux pour attelage, une difficulté matérielle qui s’oppose à l’emploi d’un calibre plus lourd, d’autant que plus le calibre est fort, plus il faut de caissons pour transporter les 200 coups qui forment l’approvisionnement de chaque pièce. D’autre part, sur le champ de bataille, où l’on n’a pas de gros obstacles matériels à renverser, mais où il s’agit de désorganiser des groupes animés, des lignes minces et étendues, le calibre de campagne atteint le but qu’on se propose. La puissance meurtrière du 12 est suffisante, et, quant à sa portée extrême, elle dépasse les limites de la vision. Pourtant, si ces calibres répondent aux besoins ordinaires de la campagne, quelques pièces d’un calibre supérieur peuvent être d’une grande utilité un jour de bataille pour détruire la résistance d’un village fortifié ou pour éteindre le feu de batteries ennemies. On a pu le voir dans deux engagemens où, par suite de circonstances particulières, il a été possible de mettre en ligne des pièces de 18, de 24 et de 30.

La bataille d’Inkermann en a fourni un exemple, et nous le rapportons tel que le raconte un officier de l’état-major anglais dans son histoire de la campagne. Sur le Mont des Cosaques, les Russes avaient 60 pièces, dont 24 de fort calibre. À cette imposante artillerie, les Anglais ne pouvaient opposer que six batteries de 9, soit 36 pièces. Lord Raglan, voulant autant que possible égaliser les forces d’artillerie, eut l’idée de faire amener sur le champ de bataille les canons de position qui pouvaient n’avoir pas trouvé leur emploi dans le train de siège. Ayant interrogé un officier de l’état-major de l’artillerie, il apprit que deux pièces de position, deux canons de 18 en fer, étaient disponibles; il envoya aussitôt l’ordre de les faire venir. L’officier qui reçut cet ordre, le colonel Fitzmayer, répondit que c’était impossible. Lord Raglan, ennuyé de cette réponse, se retourna vers un officier d’artillerie qui faisait partie de son état-major et lui dit : «Adye, je n’aime pas le mot impossible. Ne pensez-vous pas qu’on puisse amener ces pièces ici même? — Certainement, » répondit le major Adye à lord Raglan. Aussitôt celui-ci envoya le capitaine Gordon, avec ordre formel d’amener les deux pièces de 18. On parvint à traîner les pièces et on les mit en position sur un point qui dominait l’artillerie ennemie du Mont des Cosaques; elles n’y étaient pas depuis une demi-heure que leur supériorité fut démontrée par le ralentissement du feu chez les Russes. Les Russes avaient évidemment perdu leurs meilleurs artilleurs. Du côté des Anglais, la perte n’était pas moins grande en canonniers,