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Défaillance inexplicable, car dès 1820 le commerce de la cité de Londres avait signé la célèbre pétition rédigée par Thomas Tooke pour l’adoption de la liberté du commerce; Huskiston en 1825 avait commencé à déblayer le terrain par l’abolition d’un certain nombre de prohibitions, et Manchester ne cessait de s’agiter pour qu’on sortît de l’ornière protectioniste. Une législation restrictive qui ne se gênait pas, même pour prononcer la prohibition absolue, écartait des produits étrangers en grand nombre, de ceux même où l’Angleterre excellait le plus. Il était interdit sous des peines sévères d’exporter spécialement les machines, que les fabriques anglaises auraient pu écouler avec avantage sur le continent; mais on aimait mieux laisser en souffrance les ateliers de construction que de tolérer une exportation dont l’effet eût été de permettre aux autres peuples d’égaler l’Angleterre par le bon marché et la perfection des objets manufacturés. Le système douanier du royaume-uni révoltait les classes populaires et indignait leurs amis sincères par ses dispositions relatives à l’importation des céréales, qui étaient combinées pour accroître le revenu des propriétaires du sol en enchérissant la subsistance des populations. Pour couronner l’œuvre, l’importation de la viande sur pied était prohibée. Le cabinet whig, dont les membres individuellement étaient favorables à la liberté du commerce, sentait bien que l’Angleterre, possédant les moyens de production les plus puissans, ne pouvait les utiliser largement qu’autant que cette liberté des échanges serait entrée dans le domaine de la pratique générale des états. Par ses diplomates et par des émissaires d’élite, il en faisait miroiter les avantages aux yeux des principaux peuples civilisés[1]. Il ne voyait pas que, l’Angleterre ayant acquis manifestement la supériorité dans les arts manufacturiers, il lui appartenait de donner la preuve de sa conviction en s’appliquant à elle-même cette nouvelle politique commerciale dont elle vantait l’excellence. Les whigs n’apercevaient pas que, si l’Angleterre donnait spontanément ce grand exemple, elle en recueillerait le fruit par l’extension de son commerce, et que là précisément résidait le moyen de combler le déficit dont ils étaient justement inquiets. D’ailleurs l’adoption de la liberté du commerce, se traduisant nécessairement par la suppression des droits sur les céréales, devait affermir la paix intérieure, continuellement troublée

  1. Dès les premières années de la monarchie de juillet, le gouvernement anglais avait envoyé sur le continent, et particulièrement en France, deux hommes distingués, jeunes alors, pour répandre et accréditer l’idée de la liberté commerciale. C’étaient le docteur John Bowring, qui a occupé ensuite des postes importans, et M. George Villiers, devenu plus tard lord Clarendon. En 1840 arriva à Paris M. Porter, du Board of Trade, homme fort éclairé, qui devait essayer de négocier un traité de commerce. Les événemens politiques survenus en Orient cette année mirent fin brusquement à sa mission.