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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/562

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eux, c’est-à-dire également citoyens ou également sujets du prince. Il ne voulait d’autre autorité parmi les hommes que l’autorité publique, et il ne pouvait tolérer cette sujétion personnelle d’un particulier à un autre particulier. Le patronage et la clientèle étaient donc, sous l’empire romain, des institutions extra-légales. Non-seulement ils ne s’appuyaient pas sur la législation, ainsi qu’il arriva dans les temps féodaux; mais ils n’existaient même qu’en dépit de la législation. Essentiellement contraires au principe politique de l’état romain, ils étaient considérés comme un élément de désordre. On voit dans les codes les empereurs se plaindre du trouble qu’ils apportaient dans l’administration de la justice et dans la perception des impôts. On y sent que le client, dès qu’il s’était fait le sujet d’un patron, ne se regardait plus comme sujet du prince. Avait-il un procès, il s’adressait à son patron. Il aimait mieux payer le tribut au patron que l’impôt à l’état. Il cessait ainsi d’être directement justiciable de l’empire et directement contribuable. Il échappait, autant qu’il pouvait, à l’autorité publique. Son maître et son protecteur à la fois n’était plus le prince ou le fonctionnaire impérial, c’était le patron.

De son côté, l’état essayait de retenir ses sujets. Les empereurs interdisaient de contracter le lien du patronage. Ils faisaient des lois pour empêcher les habitans des campagnes de se faire les cliens des grands propriétaires. Ils punissaient le patronage comme un crime; ils le frappèrent d’abord d’une amende; puis, la sévérité croissant, ainsi qu’il arrive toujours quand on lutte contre un mal plus fort que soi, ils prononcèrent la confiscation des biens à la fois contre le patron et contre le client[1]. Vaines et impuissantes menaces : le patronage gagnait toujours du terrain. On voyait des villages entiers se donner à un patron, c’est-à-dire constituer déjà quelque chose d’analogue à ce que sera plus tard le village seigneurial. On voyait des propriétaires céder leur titre de propriété et mettre leur terre sous le nom d’un patron, ainsi qu’on verra plus tard l’alleu se changer en fief. On voyait enfin des hommes qui étaient nés libres et qui avaient même le rang de curiales se jeter dans la domesticité des grands, ad potentium domos confugere[2]. Il semble qu’on trouvât à cette époque plus de profit et de sûreté à être le serviteur d’un autre homme qu’à obéir à l’autorité publique. Il y avait une tendance générale à substituer le régime du patronage à celui de l’état, et l’on marchait insensiblement vers les institutions féodales.

  1. Code théodosien, liv. XI, lit. 24.
  2. Code théodosien, XII, I. 50.