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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/565

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L’acte par lequel l’homme se donnait s’appelait commendatio, terme énergique de l’ancienne langue latine que notre mot recommandation traduit fort imparfaitement. Cet acte était toujours volontaire et se concluait sous la forme d’un contrat. Nous avons l’une des formules qui y étaient employées; elle était conçue en ces termes : « Comme il est notoire que je n’ai pas de quoi me nourrir et me vêtir, je me suis adressé à votre charité, et, par un effet de ma volonté libre, je me suis décidé à me placer sous votre mundeburd et à me recommander à vous, afin que vous m’aidiez de nourriture et de vêtement, tandis que moi je vous servirai et mériterai vos dons. Tant que je vivrai, je vous devrai le service et l’obéissance, tout en conservant mon rang d’homme libre; il ne me sera pas loisible de me soustraire à votre autorité; je serai tenu d’être toujours sous votre protection et sous votre puissance[1]. »

Cette formule marque bien la nature de la convention qui liait désormais ces deux hommes; ils l’avaient librement conclue, après mûre réflexion, pour des motifs nettement exprimés, et parce que tous les deux y trouvaient un intérêt égal. L’homme faible ou pauvre faisait franchement l’aveu de sa faiblesse ou de sa pauvreté, il livrait sa personne, il engageait son service et son obéissance; mais ce service et cette obéissance n’étaient que le prix dont il payait les profits qui étaient stipulés pour lui dans ce même contrat. Le patron avait des devoirs envers l’homme qui se donnait à lui. La formule prononçait qu’il devait le nourrir et le vêtir. On se tromperait toutefois, si l’on prenait cette formule à la lettre; par ces termes d’une énergie toute matérielle, elle indiquait l’ensemble des obligations que le chef contractait envers l’inférieur. Ce n’était pas toujours pour être nourri que l’homme se soumettait au patronage. Le plus pressant besoin dans une société si troublée était celui de la sécurité ; le faible cherchait surtout un protecteur. Le patron avait donc l’obligation stricte de défendre en toute occasion et contre tout danger l’homme qui s’était recommandé à lui. Il lui devait la protection de ses armes, s’il était attaqué; celle de sa parole, s’il avait un procès. Un document de cette époque nous apprend en effet que, si le recommandé était appelé en justice pendant une absence de son patron, le jugement devait être suspendu jusqu’à ce que le patron fût de retour. Si le recommandé avait été lésé, le patron devait l’aider à obtenir satisfaction en justice. Avait-il été tué, le patron était tenu de poursuivre sa vengeance, et il en recevait aussi le wehrgeld. Grégoire de Tours donne un curieux exemple de l’application de cette règle : un homme qui était sous le patronage personnel de la reine Brunehaut avait été assassiné; ce fut la reine qui réclama la

  1. Recueil des formules usitées dans l’empire franc, par E. de Rozière, n° 43.