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vengeance, et ce fut elle aussi qui reçut à titre de wehrgeld les biens du meurtrier. Dans un autre chroniqueur, nous voyons un évêque qui s’était recommandé à la reine Imnichilde; appelé un jour en justice, la reine fut obligée de venir le défendre.

A la protection correspondait toujours l’autorité. Le recommandé était dans la dépendance du patron. Son assujettissement se marquait d’ordinaire par une formalité symbolique ; en se recommandant, il courbait la tête et plaçait son cou sous le bras de l’homme qu’il faisait son patron. Il déclarait par là qu’il était désormais soumis à toutes les volontés et, comme dit un chroniqueur, au moindre signe de tête de cet homme. Il confirmait sa promesse par un serment prêté entre les mains du chef. A partir de ce jour, il devenait son serviteur et son sujet; il l’appelait du nom de maître, dominus; il se disait son homme ou son leude. Il ne devait plus avoir d’autre volonté que la sienne, d’autres intérêts que les siens, et, suivant une expression significative qui se répète souvent dans les actes de ce temps-là, il devait « ne regarder qu’à lui et n’espérer qu’en lui. » C’était la dépendance la plus complète qu’on pût imaginer, car l’être humain tout entier y était soumis, et l’âme encore plus que le corps. L’homme à qui son chef commandait un crime devait l’exécuter; comme sa volonté ne lui appartenait pas, il n’était pas non plus regardé comme responsable ; la loi dit formellement : « Il n’est pas coupable celui qui a obéi aux ordres de son patron. »

Il n’échappe à personne que ce patronage pouvait être un principe de hiérarchie et de discipline. L’homme avait envers son chef autant de devoirs, pour le moins, que le sujet peut en avoir envers un prince ou le citoyen envers l’état. Le patronage pouvait donc tenir lieu du lien social. Il différait seulement de celui-ci en ce qu’il était individuel, volontaire, conditionnel; la subordination s’accordait directement d’homme à homme. Le devoir d’obéissance ne découlait pas d’un principe supérieur ou d’une loi générale ; il n’était que l’effet d’une convention. Il ne commençait qu’en vertu d’un contrat, et il cessait le jour où ce contrat était rompu. Il n’était jamais héréditaire; la sujétion du père ne créait aucune obligation pour le fils. Il n’était même pas viager; le supérieur et l’inférieur avaient également le droit d’y renoncer. Il n’était pas fondé sur une idée de la raison ou sur un sentiment de la conscience; il était lié aux intérêts les plus matériels. Il s’établissait dès que deux hommes croyaient avoir un égal avantage à l’établir; il disparaissait dès que l’un de ces deux hommes croyait avoir avantage à le faire cesser.

Il était contraire à l’intérêt de la royauté de laisser grandir un système d’institutions qui était manifestement hostile à l’autorité publique. Aussi voyons-nous que les rois bourguignons et les premiers