Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un caractère singulier; sur les plantes, on les confond avec les déjections des chenilles. Des espèces de forme hémisphérique, des cassides, offrent l’éclat de l’or; sous la vive lumière du soleil, on les prend pour des gouttes de rosée. Des insectes carnassiers d’une élégance incomparable, d’une agilité merveilleuse, ont eux-mêmes des couleurs qui les dissimulent. Échapper à des ennemis puissans et ne pas effaroucher de pauvres créatures destinées à devenir une proie sont des avantages qu’en plus d’une circonstance les jolies cicindèles doivent à leur vêtement. Verte comme les prés, notre cicindèle champêtre fréquente les endroits herbus; grises ou brunes, les autres cicindèles de notre pays courent et voltigent ordinairement sur le sol nu et sur les sables. Dans les îles de la Malaisie, M. Wallace a observé des espèces du même genre encore plus heureusement appropriées aux milieux où elles passent leur existence. Une d’elles, toute veloutée et d’un vert profond[1], ne fut jamais rencontrée que dans le lit d’un torrent sur des pierres chargées de mousse; l’œil exercé de l’entomologiste avait des peines infinies à la découvrir. Une cicindèle brune, de grande taille, se montrait particulièrement sur les feuilles mortes dans les sentiers des forêts. Une autre erre sur la vase humide de marais salans; elle est d’un ton olive luisant, si pareil à celui de la vase que l’investigateur ne réussissait à distinguer l’insecte qu’à son ombre au moment où brillait le soleil. Sur des rivages couverts d’un sable blanchâtre, le naturaliste était certain de trouver une cicindèle toute pâle, sur des terres volcaniques une espèce de couleur sombre.

Dès que l’attention s’arrête sur un sujet en apparence aussi peu important que des détails de coloration, mille remarques curieuses s’offrent à l’esprit. La conformité de nuances est le signe d’une protection de la vie de la créature; elle trahit des conditions d’existence; — sur un simple indice se révèle un ensemble de phénomènes. En général, nos papillons de nuit portent modestement des couleurs grises ou brunes avec des taches ou de fines rayures noirâtres; posés pendant le jour sur l’écorce des arbres, sur les pierres, sur les murailles, ils sont à peu près invisibles à la moindre distance. Quelques espèces ont une teinte verdâtre ou plutôt un mélange de gris et de vert ; celles-ci se tiennent habituellement sur les troncs et les rochers dont les lichens se sont emparés. Au vol, de grandes noctuelles de notre pays, les lichenées[2], attirent les yeux; elles ont des couleurs bleue, rouge, orange très vives, mais la voyante parure est limitée aux ailes postérieures ; au repos, les ailes supérieures, d’un gris uniforme, la cachent, et l’insecte, immobile sur

  1. Cicindela gloriosa.
  2. Les espèces du genre Catocala.