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par l’organisation éprouvent le charme d’attraits physiques, et que le sentiment intervient à divers degrés dans les relations des individus des deux sexes[1]; ne suffit-il pas de voir à l’époque des amours les gentillesses, les agaceries, les coquetteries de nos petits oiseaux? Ce n’est pas assez pour M. Darwin de reconnaître parmi les animaux les mieux doués des appétits, des désirs, des impressions, de l’essence de ceux qui se manifestent dans les sociétés humaines, il finit par admettre de la part de mammifères, d’oiseaux, même d’insectes, des raffinemens de bon goût, des délicatesses, des volontés de résistance qui ne furent jamais dans la nature. A telle pensée, on opposerait volontiers l’opinion populaire que le garçon le plus déshérité, comme la plus laide fille, trouve toujours à contracter alliance. M. Darwin est d’avis que, parmi les insectes et les mammifères, les femelles font des choix parfaits, en un mot qu’elles pratiquent la sélection. Certes de pareilles vues n’ont pas été inspirées par l’observation : les mâles provoquent, l’attaque est dans leur rôle; sans s’inquiéter s’ils peuvent plus ou moins plaire, ils agissent souvent avec une certaine brutalité qui n’excite aucune plainte parmi les hôtes des forêts. D’ailleurs en général les femelles font bon accueil au premier venu; les unes accourent à son appel, les autres, moins empressées, se laissent vaincre; pour la plupart des unions, le hasard décide, et les rapprochemens que déterminent les goûts et les sentimens se produisent dans une mesure bien restreinte.

Sans souci des phénomènes de développement, M. Darwin se figure à l’origine les individus des deux sexes identiques chez toutes les espèces animales. Parfois, suppose-t-il, une légère variation est survenue chez un mâle, et cette variation était soit une beauté nouvelle, soit un avantage d’un autre genre. L’individu favorisé a été particulièrement recherché, il a transmis ses avantages à une postérité ; la beauté du père s’est trouvée plus grande chez quelques-uns des fils, et ceux-ci sont devenus des objets de sélection. Après des milliers de générations, le profit de semblables variations sans cesse accumulées était énorme; les papillons mâles étaient devenus magnifiques, les oiseaux mâles superbes et pleins de vaillance. N’est-ce pas un joli roman ?

C’est avec un bonheur qui n’est pas dissimulé que M. Darwin nous entretient des galanteries des papillons et des succès des vainqueurs. Il y a pourtant une ombre dans ce gracieux tableau; d’après l’assertion de plusieurs observateurs, des femelles de bombyx ne témoignent jamais de préférence, — il convient de passer légèrement sur cette remarque. Les cigales chantent, les grillons et les

  1. Voyez les Conditions de la vie chez les êtres dans la Revue du 1er mars 1870.