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ce pays. Le maréchal de Vivonne relevait déjà le fait dans une lettre à Louvois, du 22 novembre 1676, et s’en exprimait en ces termes : « Si l’on pouvait avoir une connaissance de la Sicile, comme l’on a du reste de l’Europe où l’on fait la guerre, je pourrais peut-être me mieux conduire suivant les règles que je vois observer à sa majesté et à ses plus habiles généraux; mais je ne saurais me régler que sur ce que j’ai pu voir à cette campagne du bord de la mer, car il n’y a personne à Messine qui ait jamais voyagé en Sicile par terre; ou la plupart ne sont jamais sortis de la ville, ou ils en sont sortis par mer, soit à cause de la commodité de la voiture, soit pour la crainte des bandits qui ont toujours inondé ce royaume, par la mauvaise justice et sale administration des Espagnols, dont la politique a été et est encore de laisser les crimes impunis pour en tirer de l’argent et complaire au génie du peuple, qui est extrêmement amoureux de la vengeance et enclin au vol. » Les Bourbons ne firent que continuer cette tradition; attentifs surtout à maintenir leur autorité, ils s’inquiétaient assez peu de la sécurité publique. Si par hasard le malandrinage prenait de telles proportions qu’il devenait pour eux-mêmes une menace et un danger, ils recouraient à des mesures de rigueur presque excessives, mais qui ne duraient pas. Pour bien faire, il eût fallu s’appuyer sur les classes supérieures, travailler en même temps à l’éducation du peuple, et nul ne s’en souciait parmi les gouvernans; le remède eût paru pire que le mal. On aimait mieux pactiser. Une partie des malandrins, souvent même les plus mal famés, entraient au service du roi.

La police, dans l’intérieur de l’île, était faite avant 1860 par les compagnies d’armes. L’usage de ces compagnies remonte à l’époque féodale : en l’absence de toute force publique, les barons et propriétaires du sol avaient été obligés, pour défendre leurs biens, d’entretenir autour d’eux des bandes de spadassins. Plus tard, quand un ordre nouveau parut s’établir, le gouvernement royal, bien débile encore, ne trouva rien de mieux à faire que de prendre à sa solde le plus grand nombre possible de ces bravi, et c’est ce beau système de police qui, sauf de légères modifications, devait se perpétuer jusqu’à nos jours. Se figure-t-on les loups chargés de garder les moutons ? Il en était ainsi à peu près. Chaque capitaine d’armes avec ses hommes, tous gens de même trempe et coquins reconnus, se faisait le garant de la sécurité d’un district. Impitoyables avec le menu fretin des voleurs, ils ménageaient les autres et leur concédaient même le titre d’affiliés. Les affiliés à leur tour s’engageaient à défendre telle ou telle portion du district, et, forts de l’appui de la compagnie, en profitaient pour exploiter à leur aise et rançonner le pays. Lorsqu’ils allaient trop loin cependant ou que la victime du vol trouvait dans sa position sociale la possibilité et le courage