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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/629

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LE MALANDRINAGGIO EN SICILE.

de se plaindre, — sans jamais dénoncer le voleur, il est vrai, — le capitaine d’armes payait intégralement le dommage, puis, cela s’est vu, il courait bien vite à la tête de sa compagnie se refaire de ses pertes dans un district voisin. Souvent encore on s’arrangeait à l’amiable : un membre quelconque de la compagnie, complice du délit au besoin, allait trouver la personne lésée, et, selon son importance et sa qualité, lui offrait tant pour cent de la somme perdue; l’autre, à ce prix, consentait à retirer sa plainte. Si maintenant le vol dénoncé n’était pas le fait des affiliés de la compagnie, le procédé différait; la compagnie était tenue d’indemniser les victimes; bon gré mal gré elle s’exécutait, mais malheur au pauvre diable qui avait osé chasser sur ses terres sans autorisation. Les preuves faisaient-elles défaut, elle arrêtait les gens de droite et de gauche, embastillait, bâtonnait, torturait même un peu à l’occasion, et arrivait ainsi sans trop de retard à découvrir son voleur. En cas de preuves au contraire, le téméraire un beau jour était trouvé mort dans un coin, personne n’avait rien à y voir, c’était affaire de la compagnie ; on prévenait le juge d’instruction, et tout était dit.

C’est ainsi que de tout temps la police s’est faite en Sicile, même sous ce fameux Maniscalco, qui dix ans et plus, de 1849 à 1860, jouit comme directeur de ce département d’un prestige aussi enviable qu’exagéré. Il sut seulement donner aux compagnies d’armes une organisation plus forte et plus complète. Celui qui ne connaissait pas le fond des choses, et qui vivait sur les côtes, pouvait croire aisément que dans toute l’île à l’intérieur régnait la sécurité la plus profonde; les étrangers qui se hasardaient à faire un voyage en rapportaient la même impression, car le malandrinaggio organisé s’exerçait pour ainsi dire en famille, et rien ne transpirait au dehors qui pût donner l’éveil aux esprits curieux. Les choses allaient d’un train régulier : point de mesures extraordinaires, de déploiement de troupes imposant; les diligences n’emportaient pas au départ, juchés sur l’impériale, toute une escouade de bersagliers et de carabiniers, mesure de précaution salutaire qu’on a dû imaginer aujourd’hui, mais qui laisse trop à penser aux gens. Et d’ailleurs aucune indiscrétion de la presse ne venait troubler le fonctionnement du système : il n’existait alors que des journaux officiels occupés, comme de raison, à chanter sur tous les tons les louanges du très habile et tout-puissant directeur. Quant aux habitans eux-mêmes, ils savaient trop que la justice était impuissante à les protéger, que l’autorité sans enquête ferait mettre en prison comme factieux et rebelle quiconque se permettrait la moindre critique, et que de toute façon ils étaient chez eux à la merci absolue des compagnies d’armes, de leurs affiliés et de leurs amis.

Les effets d’un pareil système, appuyé sur la tradition, sont