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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/63

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unis à une bravoure surhumaine, lui ont valu les sympathies du peuple, qui a fait de lui le frère d’armes, l’ami toujours écouté d’Ilia de Mourom. Son premier exploit a été le combat contre le Serpent de la Montagne, qui hantait les eaux de la rivière Poutchaï et qui de là s’élançait sur les pays chrétiens pour enlever des prisonniers. La mère de Dobryna lui avait bien recommandé de ne pas se baigner dans ces flots, où il y avait des courans de feu. Il désobéit héroïquement. Soudain, comme une nuée qui s’étend, comme un orage qui éclate, le Serpent de la Montagne accourt sur Dobryna. Le bogatyr regagne au plus vite la rive, terrasse le monstre et lui fait signer un pacte en vertu duquel il cessera d’infester la terre russe. Peu de temps après, le dragon viole le traité, et enlève Zabava, nièce de Vladimir. Dobryna court à la rivière Poutchaï, et se met à fouler aux pieds de son cheval les petits serpens, les enfans du ravisseur parjure. Celui-ci proteste contre cette exécution militaire. « Tais-toi, serpent maudit, lui crie Dobryna, c’est le diable qui t’a emporté à Kief. Pourquoi as-tu enlevé Zabava? Rends-la-moi sans combat. » Le monstre refuse, et pendant trois jours ils combattent. Victorieux, le héros délivre Zabava et une infinité de prisonniers. — Dobryna se marie bien singulièrement. Un jour, il poursuivait une polénitsa. Par derrière, il lui applique sur la nuque un formidable coup de massue; l’héroïne ne tourne même pas la tête. C’est l’histoire de Thor avec le géant endormi. « Il faut croire que je n’ai pas ma force ordinaire, » se dit le bogatyr. De sa massue, il frappe un chêne énorme, qui vole en éclats. Rassuré par cette expérience, il revient sur la polénitsa, et lui assène de nouveau un terrible coup. Elle continue son chemin sans s’émouvoir. Le héros se prend encore à douter de sa force ; pourtant il en fait l’essai sur un rocher qu’il pulvérise. Au troisième coup, la géante se retourne, et dit : « Je croyais que c’était un moucheron qui me piquait, et c’est un héros russe qui remue les mains. » Elle le saisit par ses boucles blondes, et met l’homme et le cheval dans sa poche; mais son propre coursier trébuche, et réclame contre ce surcroît de charge. « Alors Nastasia, fille de Mikoula, se dit : Si le bogatyr est vieux, je lui couperai la tête; s’il est jeune, je le garderai prisonnier; s’il me plaît, je l’épouserai. » Elle plongea la main dans sa poche, en retira Dobryna. Il lui plut, ils s’épousèrent, et partirent ensemble pour Kief. De même que Brunehilde, la forte Walkyrie, devient une femme ordinaire après son mariage avec Gunther, de même la fille de Mikoula, quand elle eut perdu avec sa virginité sa force titanique, devint la compagne aimante, humble et soumise de Dobryna.

Ce n’était point une sinécure que de monter la garde aux barrières de Kief. A chaque instant, il fallait livrer bataille, — ou bien