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bien faciles à comprendre. Revêtu d’un caractère quasi officiel, le malandrinaggio promettait de durer éternellement; c’était devenu un mal nécessaire dont chacun prenait son parti, les compagnies d’armes le limitaient en un certain sens par le monopole qu’elles en avaient, et cela déjà semblait suffisant. Ceux qui possédaient quelque chose avaient tout à perdre dans une résistance impossible; ils tenaient à leurs champs et à leurs maisons, mais ils tenaient surtout à leurs jours, ils comprenaient qu’on leur prendrait de vive force ce qu’ils n’auraient pas voulu donner d’eux-mêmes, et qu’on leur couperait la gorge après les avoir dépouillés, ils se prêtaient donc patiemment aux exigences des malandrins, et ne cherchaient qu’à les rendre moins lourdes en ouvrant leurs tiroirs d’un air de bonne grâce et de bonne humeur. Les uns payaient un impôt régulier pour n’être pas inquiétés, les autres avaient pour les coquins mille attentions délicates, mille ingénieuses prévenances; quant à s’adresser jamais aux autorités, personne n’y songeait. Quelques-uns cependant, plus audacieux ou plus influens, cherchaient à tirer parti de ces relations forcées, et s’en servaient à leur tour pour tyranniser leurs voisins. Ils briguaient une place de capitaine d’armes. C’est ainsi qu’on a vu, surtout dans les deux provinces de Palerme et de Girgenti, tel grand propriétaire ou grand tenancier se plaire à jouer en plein XIXe siècle le rôle de baron féodal, et concourir dans ce dessein au malandrinaggio d’une façon plus ou moins directe.

Les gens du peuple de leur côté considéraient les malandrins comme les membres d’une association puissante et respectée, plus forte que les riches et que le gouvernement lui-même; beaucoup leur portaient envie et voulaient goûter, eux aussi, de cette vie facile où sans fatigue et presque sans périls il était loisible de s’enrichir. Songe-t-on bien quelle est la force de l’exemple sur des esprits déjà pervertis et trop disposés à suivre leurs mauvais penchans? Les plus honnêtes même et les plus sincères inclinaient à voir dans les malandrins la personnification glorieuse de la résistance sicilienne à l’oppression étrangère. Chez tous les peuples en effet, depuis longtemps soumis à un gouvernement arbitraire et corrompu, l’idée de la loi finit par se confondre avec celle du pouvoir malfaisant qui pèse sur le pays; l’une et l’autre indifféremment, on les enveloppe dans la même haine, le même mépris, surtout lorsque la loi, — comme il arrivait en Sicile, — est impuissante à rien prévenir et à rien réprimer. Ne voyons-nous pas l’estime dont jouissent encore, jusque dans nos contrées, des hommes qui ouvertement se livrent à la contrebande ou au braconnage? En Sicile également, le nom de malandrino a perdu toute signification infamante : ce serait bien plutôt un titre d’honneur; on entend par là un brave garçon, au cœur