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LE MALANDRINAGGIO EN SICILE.

soient plus difficiles à détruire que les causes elles-mêmes qui les ont amenés. Par bonheur, malgré ses défauts, le Sicilien possède de grandes et fortes qualités; il est fier, jaloux de bien faire, plein d’une noble émulation toutes les fois qu’on veut ou qu’on sait offrir un but louable à ses efforts. Rien ne fait plus l’éloge du grand parti libéral sicilien que de s’être avec tant de zèle, dès le lendemain de la révolution, employé à moraliser et à instruire le peuple. L’instruction et l’éducation ne corrigent pas les brigands, il est vrai; mais elles sont encore le plus sûr moyen pour empêcher de le devenir. En 1860, c’est à peine si 800 enfans des deux sexes recevaient à Palerme une instruction tout élémentaire dans des maisons pour la plupart tenues par le clergé ; dix ans après cependant, pour la seule province de Palerme, le nombre des élèves admis dans les écoles primaires, tant privées que publiques, s’élevait à près de 30,000, dont un tiers de filles environ; la progression était la même dans le reste de l’île. En outre les sept provinces réunies possédaient déjà, en 1870, soixante-quatorze établissemens pour l’enseignement secondaire et supérieur, presque tous de création récente, et fondés aux frais des communes et des provinces. Tout cela est bien peu sans doute, comparé aux immenses besoins d’une population qui, au moment de l’annexion, offrait une moyenne de 91 individus sur 100 ne sachant ni lire ni écrire. Si pourtant on veut tenir compte du peu de temps écoulé, des difficultés matérielles et morales qu’il y avait à vaincre, des agitations qui, durant les six premières années, ont troublé le pays, on verra que le possible a été fait. Tandis que la classe la plus distinguée travaille à multiplier les écoles, le peuple sicilien de son côté, mieux qu’en beaucoup d’autres provinces de l’Italie, répond aux soins qu’on donne à son instruction, et manifeste une véritable soif de savoir; cette entente est des plus heureuses. En Sicile, il n’y a jamais eu réellement de classe moyenne : d’une part un patriciat nombreux et puissant, de l’autre la plèbe immense, puis au milieu la gent des fonctionnaires, les employés des administrations publiques et religieuses, les hommes de loi, les chargés d’affaires; la vraie bourgeoisie n’existait pas. Dès aujourd’hui, on peut l’espérer, l’instruction, en élevant le niveau moral et intellectuel des basses classes, le commerce et l’industrie, en fournissant aux plus capables des places lucratives et indépendantes, atténueront un état de choses dont les tristes effets doivent se faire sentir encore longtemps.

La question des routes est aussi de grande importance. Comme on l’a dit, ce sont les routes qui gênent le plus la circulation des brigands; mais ici elles n’aideront pas seulement à la sécurité immédiate du pays, elles porteront le bien-être dans les campagnes, elles changeront la vie du paysan, elles écarteront de lui les excitations