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Un moment après, nous étions équipés, chaussés d’espadrilles, nos manteaux roulés autour des reins. Manuel me donna une grande gourde remplie d’une excellente eau-de-vie et me fit choisir un fusil dans son râtelier, car il demeurait bien entendu que la contrebande ne nuirait pas à la chasse. Lui-même prit une carabine rayée qui me parut encore plus propre à chasser l’homme que le vautour.

Nous partîmes en silence d’Aguerria, et de l’autre côté d’Ascain nous commençâmes à gravir les premières pentes dans un épais taillis. Manuel, dont je suivais tous les pas, me rappela à voix basse que nous avions de bonnes raisons pour ne pas prendre un chemin plus fréquenté.

Nous ne tardâmes pas d’atteindre un premier sommet, couvert, à ce qu’il me sembla, de genêts et de bruyères, et nous approchâmes d’une petite chaumière entièrement fermée, où l’on entendait ré- sonner les battemens sourds et monotones d’un marteau. Edouard me dit que c’était le bruit d’un instrument avec lequel les paysans coupent les genêts et les ajoncs dont ils nourrissent leur bétail. Manuel poussa deux fois un irrincina, cri rauque et bizarre, familier aux Basques. Aussitôt le bruit cessa, la porte de la chaumière s’ouvrit, et un paysan vint à nous. Après quelques mots échangés dans son idiome avec le contrebandier, il rentra chez lui, et nous n’entendîmes plus rien.

— Tout va bien, dit Sorrondo. Les douaniers de Sare ont déjà passé ici, il y a environ une heure, se dirigeant vers la montagne. Il n’y a plus à craindre que la patrouille d’Ascain.

Nous reprîmes notre marche dans le fond d’une gorge entre deux hautes montagnes qui se prolongeaient de chaque côté. A quelques pas de nous roulait un torrent dont nous remontions le cours. La nuit, jusque-là très obscure, s’éclaircit tout à coup, les nuages s’écartèrent, et à la clarté de la lune les escarpemens et les crêtes des montagnes prirent un aspect fantastique. Un vent frais nous apporta le parfum des iris sauvages et le tintement des clochettes de quelque troupeau. Saisi par la beauté de ce désert, j’exprimai tout haut mon sentiment.

— Voilà qui est fort à propos, me dit Manuel. Savez-vous que les douaniers sont peut-être là, à notre droite, sur la cime de l’Hucelhaya, et qu’ils y voient clair maintenant? Cachez vos fusils.

Mais il y a un Dieu aussi pour les contrebandiers, et presque aussitôt les nuages s’étendirent de nouveau sur nos têtes, plus épais qu’auparavant. Nous traversâmes le torrent et suivîmes notre guide sur une pente des plus raides, où il n’y avait point de sentier. Nous marchions à travers de hautes fougères dont je m’aidais pour ne pas glisser. Comment Sorrondo reconnaissait-il sa route dans ce fourré, c’est ce que les contrebandiers seuls pourraient dire. Enfin,