Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 4.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rarement chez nos paysannes... Vous avez vu dans ma chambre son portrait fort ressemblant, et ce jour-là elle portait le même costuma…

À ces derniers mots, je fis un mouvement de surprise, et Manuel s’arrêta un moment, le visage assombri; puis il continua :

Il me sembla que c:ette jeune fille me regardait d’un air curieux et bienveillant ; mais don Pedro, qui était en train de rire, l’avait aussi remarquée et s’avança vers elle ; — Anderea Franceza[1], lui dit-il, ayez compassion de ce pauvre jeune homme, qui est à moitié votre compatriote. Si vous refusez de lui donner le prix, il faudra faire venir Maïthagarri, car il n’a pas d’autre fiancée.

Maïthagarri, c’est une fée de nos vieilles légendes dont l’histoire rappelle à peu près celle de Diane et d’Endymion.

Les rires éclatèrent de plus belle, et la jeune Française se mit aussi de la partie. Je pâlis de colère; mais l’étrangère, qui ne me quittait pas des yeux, comprit aussitôt ce qui se passait en moi. Elle prit brusquement la ceinture des mains de l’alcade et me la présenta en rougissant avec un charmant sourire :

Yaona (monsieur), dit-elle, je suis heureuse d’être venue ici exprès peur donner le prix à un Labourdin.

Elle dit cela de si bonne grâce que tout le monde applaudit. Je balbutiai un remercîment, et, mes camarades m’ayant aussitôt entouré, nous remontâmes à cheval pour parader encore dans la ville. Nous fûmes souper ensemble et noyer la jalousie dans le vin. Garmendia seul manqua au rendez-vous et me fit dire qu’il me revaudrait ma victoire. Quant à l’étrangère, je ne la revis plus de la soirée. On me dit qu’elle se nommait Paula Errecalde et qu’elle se trouvait à Vera chez des parens, pour voir la fête. Il ne me vint pas à l’esprit de m’enorgueillir de sa complaisance, et je n’y passai pas davantage.

A quelques jours de là, j’allai, avec plusieurs jeunes gens de Saxe, à Saint-Jean-de-Luz, pour la foire qui s’y tient vers le milieu d’octobre. On annonçait une grande partie de pelota entre les joueurs, de la ville et une bande de Guipuscoans qui leur avaient adressé un cartel ; c’est un vieil usage de nos provinces. Je dis à mes camarades : — Vous verrez que les gars de Saint-Jean-de-Luz seront battus, et qu’il nous faudra prendre leur revanche sur les Espagnols. Garmendia sera de la bande, mais nous n’avons pas peur de lui.

Effectivement nous arrivâmes à Saint-Jean-de-Luz au moment où la partie allait commencer, et nous vîmes entrer dans la lice les Guipuscoans, commandés par le terrible Garmendia, qui était plus fort à la paume qu’à la bague. Quand ils parurent, la foule battit des mains, et quelques voix crièrent : vivent les fueros ! Par malheur,

  1. Mademoiselle la Française.